[Article contenant des spoils]


Quelqu'un qui filme les herbes ondulant sous le vent, puis un arbre isolé dans un champ, deux merveilles que nous offre Mère Nature, ne peut pas être totalement mauvais. C'est là que notre jeune héros -Tom Schilling, faux air de Brad Pitt - ressent "la formule du grand tout", dans une inspiration mystique. Son père, à qui il l'annonce rempli d'excitation, en a trop vu avec le régime nazi auquel il a tenté de résister, puis avec son rejet par la nouvelle Allemagne, le considérant comme un collabo. Il se suicidera peu de temps plus tard.


La première partie, disons jusqu'à ce que Kurt entre aux Beaux Arts, est stupéfiante d'intensité. Une visite au musée glaçante, où un petit garçon se voit exposé à la propagande nazie. Une douce scène dans un autocar où il se love contre la poitrine de sa tante, Elisabeth, comme un bébé à qui on donne le sein - et c'est bien ce qui se produit : sa tante va lui transmettre sa vision artistique. Elisabeth (fascinante Saskia Rosendahl) face à une colonne de camions klaxonnant, qui accède à la béatitude. La même Elisabeth jouant nue du piano, envahie par les vibrations du contre-la. Elisabeth suppliant le gynécologue nazi de ne pas la stériliser, le nommant "papa" - on comprendra plus loin l'importance de cette scène. Elisabeth gazée avec toutes les "tarées", au sens étymologique du mot, qui ne méritent pas de vivre.


Bref, cette jeune femme irradie la pellicule, tout comme elle va marquer le jeune Kurt.


Et puis c'est l'après-guerre et le film, en virant au mélo, se dégonfle. Oh, rien de honteux, ça reste bien réalisé et assez prenant. Il y a même un peu d'humour : lorsque Kurt déclare à son amoureuse qu'il ne quittera plus jamais le costume qu'elle vient de lui confectionner et qu'on voit dans le plan suivant le dit-costume au pied du lit où l'union va se consommer ; lorsqu'on passe de l'amour lent et sensuel des deux tourtereaux aux coups de rein brutaux du gynéco besognant la gouvernante ; ou encore lorsque le gynéco découvre que sa fille est enceinte par déformation professionnelle, en se basant sur la chaleur de ses mains. Tout cela n'est pas mal, mais le film se laisse gagner par l'académisme : scènes clichés (le jeune qui conquiert sa belle par audace, la promenade dans le parc), dialogues cul-cul ("dis-moi que tu m'aimes... sinon je ne peux pas !"), éclairage romantique lors des scènes d'amour, musique un peu ronflante, qui ne prend jamais le contrepied des situations. On déplorera aussi quelques invraisemblances, comme le gamin de 6 ans qui dessine déjà comme un pro, ou comme le gynéco qui sort le bébé en quelques secondes (certes, c'est un champion, mais quand même...) !


Le film se montre aussi manichéen : le gynéco (Sebastian Koch, déjà vu dans le précédent succès de von Donnersmarck, La vie des autres, convaincant) est un salopard, sans état d'âme, et imbu de sa personne - il exige, même devant les Russes, d'être appelé "professeur", se fait peindre par Kurt... On peut soupçonner un geste désintéressé lorsqu'il sauve le bébé, mais n'était-ce pas un calcul pour se tirer d'affaire ?... J'aime bien en tout cas la réponse qu'il fait au gradé russe qui lui demande pourquoi il fait ça : "parce que je le peux". J'aime bien, car cette phrase sera reprise par Kurt lorsqu'un collègue lui demandera pourquoi il peint à main levée au lieu d'utiliser des pochoirs comme tout le monde. Toujours appréciables les petits cailloux semés dans un film, stimulant la vigilance du spectateur.


Reste à voir la partie II... en espérant que le ton soit plutôt celui de ce fantastique début que celui, assez convenu, de l'amourette, dont on devine qu'elle va être sacrément contrariée.

Jduvi
7
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le 18 juil. 2019

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Jduvi

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