L’Oiseau au plumage de cristal est un véritable coup d’envoi pour le giallo, qui envahit les salles obscures dès l’année suivante en Italie. Il faut dire que le film présente toutes les qualités de la pierre angulaire: Argento assimile et distribue son héritage cinéphilique avec un équilibre rare. Porté par une intrigue solide transcendée par la passion de son personnage, le film incarne ses codes avec une vivacité étonnante. C’est que le genre presque tout entier se catalyse dans une seule et même scène matricielle. Un jeune écrivain expatrié (Tony Musante) assiste malgré lui depuis la rue, à l’agression d’une jeune femme dans une galerie d’art par une silhouette masculine. L’agresseur prend la fuite à son approche et l’enferme au passage entre deux baies vitrées, obligeant le témoin accidentel à contempler les souffrances de la victime sans agir. Le contrat entre le spectateur et le genre est théâtralisé : Avec son personnage voyeur contraint, c’est tout une esthétique du mensonge et de la dissimulation qui se révèle. Organisé sur un trompe l’oeil, L’Oiseau au plumage de cristal libère cependant l’image de la pulsion scopique en la transformant en une entité trouble à décrypter, à la fois énigme policière et surface d’échanges fantasmatiques. Derrière le meurtrier masqué, et encore plus derrière la mise en image de ses mises à mort, circulent et s’inversent les identités, les pulsions et les désirs dans un espace qui ne se précise qu’en toute fin de film.


Ces circulations, à même de déstabiliser un récit (comme ce sera souvent le cas dans le genre), trouvent une concentration idéale dans le relais de son personnage principal, enquêteur accidentel obsessionnel et hanté par les images qui nourrissent le chemin pulsionnel du film. L’ostinato des visions du premier meurtre trouve un écho dans le motif d’une toile naïve qui, accompagnée de l’entêtante mélodie d’Ennio Morricone, figure l’impulsion pulsionnelle originelle. En faisant de son MacGuffin une image artistique, Argento oriente son décryptage vers le champ d’une émotion esthétique brute plutôt que vers l’enquête policière factuelle. A travers se motif se pressent une circulation figurale qui dépasse les oeuvres et les nourrissent et la tentation du hors film, de la mise en abîme comme vertige infini, qui innerveront la filmographie future du cinéaste.


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le 24 avr. 2018

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