En sortant de la salle je suis partagée entre crier au génie pour la part ironique du film, ou être blasée par un scénario type qui prend le parti cette fois-ci de mélanger thriller et comédie donnant au film une tonalité étrange.
Je préfère choisir l’ironie, je m’explique :
Les scénarios originaux ne sont plus légions, et pourquoi donc s’échiner à écrire quand on a une masse considérable de livres à adapter. Dans le lot vous avez un genre qui marche du tonnerre, alliant toujours la même recette : un thriller qui va de rebondissement en rebondissement, cherchant à brouiller le lecteur mais surtout à le distraire. Je peux vous dire que j’en ai lu une flopée, souvent avec la déception de m’apercevoir que les ficelles sont toujours les mêmes. Tous ne sont pas à mettre dans le même sac, certains sont bien écrits (sans utiliser une forme particulière pour autant) ou retranscrivent parfaitement une ambiance. Mais l’histoire suit le même cheminement pour tous et devient redondante quand on en lit plusieurs d’affilé.
Et voilà qu’après le succès en librairie sonne l’adaptation cinématographique. Là aussi il faut reconnaître que si il n’y a pas la patte d’un réalisateur, le film vise le divertissement sans plus d’aisance artistique. La flopée arrive donc indubitablement à se mêler au box office.
Puis arrive Paul Feig, pas particulièrement branché thriller puisqu’on lui connaît surtout des comédies potaches ou « gross out » pour les connaisseurs. Du coup le best-seller peut prendre une autre tournure et révéler ainsi toutes les failles d’un système ultra huilé dans le monde de la littérature. Je ne vais pas leur jeter la pierre puisque, après tout je les lis, néanmoins L’Ombre d’Emily m’est apparu comme une satire de ce genre de livre, et dans la lignée de ce genre de films.
J’ai tenté de trouver une explication du réalisateur pour appuyer mon propos, et dans la multitude d’interviews débiles qui se contentent de poser des questions de bas étages j’ai trouvé une approche de ce que je revendique comme une forme d’ironie (ce qui m’aide largement à agréer le film) :
« Le cinéma d’Alfred Hitchcock m’a bien sûr influencé. Ses films avaient un suspense incroyable mais ils étaient aussi fun. Et ce fun me manque au cinéma. Les thrillers modernes se prennent souvent trop au sérieux, même si j’adore de nombreux thrillers actuels. Mais les histoires de mystère ont un fond absurde avec des gens ordinaires prenant des décisions absurdes et créant ainsi le chaos autour d’eux. Pourquoi pas s’en amuser. »
(cinema.jeuxactu.com, interview réalisé par Olivier Portnoi)


L’Ombre d’Emily est jalonné par de nombreux exemples qui confortent cette idée de prendre le drame à rebrousse-poil. La fin en elle-même illustre parfaitement ce jeu de dupe, qui n’en finit pas, pour aligner des situations et des dialogues à la fois savoureux et complètement sortis du contexte qui se joue. Jusque dans la représentation du devenir des personnages, qui n’existent pas vraiment puisque inventés par l’auteur Darcey Bell.
Paul Feig mélange donc les genres et a su caster Anna Kendrick pour incarner l’autodérision, actrice qui oscille dans sa carrière entre drame et comédie.
L’Ombre d’Emily part dès le début dans un entre-deux, les dialogues entre les deux mères de famille posant d’emblée une situation ambiguë et un décalage. De plus l’histoire se déroule à une vitesse incroyable, puisant dans l’essence du scénario, éludant les longueurs pour ne garder que le nécessaire, se passant allègrement d’explications crédibles.
Si on pense à Gone Girl, c’est surtout parce que Fincher avait su maîtriser son suspense, ne révélant rien de la supercherie pour mieux imprégner le spectateur dans une ambiance et mieux abattre ses cartes par la suite. Feig agit différemment et se fiche complètement de brouiller les pistes, il sait que le spectateur à déjà vu ce film et il préfère donc jouer sur le comique de situation et rendre ce qui pourrait être oppressant, drôle et sarcastique.
Cependant il ne franchit jamais la limite du borderline, limite qu’il adore pourtant franchir. Le film s’inscrit donc dans une entre-deux assez étrange, qui si on écarte l’ironie, peut s’avérer assez déroutant.
Loin du film parodique, L’Ombre d’Emily saisit tout de même l’occasion de s’affranchir de ses prédécesseurs dans sa forme (La Fille du Train, Gone Girl, radicalement différents en terme de mise en scène), et aborde ce genre de livre de manière plus directe et assez ironique en choisissant d’opter pour la comédie afin de révéler la surenchère de rebondissements, cette habitude que je déplore en littérature, pour apporter un regard plus satirique mais aussi plus fun sur ces thrillers adorés des lecteurs.

LuluCiné
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le 11 oct. 2018

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