Avec un casting de patrons, on attend parfois un vrai film de patrons. A tort, souvent. Sans avoir à néanmoins se rappeler la douloureuse expérience d’Astérix aux Jeux Olympiques, l’appel du casting est, il faut l’avouer, un sacré piège. Il suffit de repenser simplement à des films comme Les Oies Sauvage. Je serais méchant, je dirais que l’Ombre d’un Géant s’inscrit presque dans le même registre. Mais pas complètement, encore heureux. Ouf !

Le sujet en lui-même me faisait un brin peur : l’indépendance d’Israël n’est pas une chose aisée à traiter, le sujet est glissant, ou peut être tout simplement inintéressant pour quelqu’un n’étant pas vraiment concerné. Force est de croire que juste avec la fin de Blackbook, Paul Verhoeven en disait déjà plus à ce sujet (et plus intelligemment) que l’Ombre d’un Géant. Au début, je m’attendais presque à quelque chose ayant un minimum de recul, d’intelligence, sans pour autant se la jouer nécessairement super subtil. Au début du film, le personnage de Kirk Douglas dit quelque chose comme « My people is no the Jews. My people is Americans ». Pas le summum de la subtilité, certes, mais suffisamment pour me faire espérer quelque chose de pas trop borné et partial. Mais en fait non, le film va évoluer jusqu’à ce que Kirk Douglas déclare l’exact opposé. Et là c’est plus gênant.

Pourquoi ? Parce que le film perd de vue ce qui est au centre d’un conflit : l’humain. Le film s’acharne à vendre la cause d’Israël contre l’envahisseur Arabe, moyennant un propos relativement rétrograde. A titre indicatif, Lawrence d’Arabie, modèle d’écriture en termes de justesse, est sorti 4 ans plus tôt. Les références à la Shoah sont constantes. Alors oui, je me doute qu’un 1966, il n’est pas évident de prendre du recul. Mais c’est assené avec tellement de complaisance, sans aucune subtilité... Et ce, jusqu’à même en commettre des erreurs historiques : Kirk Douglas, alors soldat dans l’armée Américaine pendant la guerre, fait des allusions à l’extermination des Juifs et évoque des soi-disant ordres de « libérer les camps ». C’est mignon, mais l’existence des camps n’était pas vraiment connue par les soldats à ce moment précis. C’est le petit détail qui m’exaspère, car il illustre un peu le côté « on fait comme on veut » alors que le sujet demande justement un peu plus d’intelligence que cela. Je passe sur le reste du film, constitué de pas mal de combats, mené par des personnages passablement insipides.

C’est très frustrant, quand on a une telle tête d’affiche (Douglas, Wayne, Brynner, Sinatra), d’avoir à endurer des personnages aussi faibles et aussi unilatéraux. Le film se fend dès le départ du bon vieux carton « ces personnages ont réellement existé ». Bon, admettons, mais ne pouvait-on pas leur donner un peu plus d’épaisseur ? On est au cinéma, que diable. On en a d’ailleurs encore récemment eu la preuve avec Argo ! (je cite un film récent, mais des films de l’époque le faisaient tout aussi bien, à nouveau Lawrence d’Arabie pour n’en citer qu’un). D’autant plus que bon, faisons face à la réalité : Kirk Douglas est peu concerné, Wayne clairement vieillissant et « trop vieux pour ces conneries », Sinatra apparait 5 minutes... Le bon vieux Yul Brynner fait toujours l’effort d’apporter son petit plus, avec sa gueule et sa voix atypiques que j’aime toujours autant. Mais ça ne sauve pas le reste.

Alors oui, il y a quelques séquences sympathiques, mais bon, ça ne va pas très loin. Le film demeure quand même réalisé assez platement, alors que pourtant il semble avoir des moyens. D’autant plus qu’avec un tel sujet, il y a moyen d’avoir des séquences qui ont de la gueule. Je retombe sur Lawrence d’Arabie, je comprends bien que c’est un film en apparence bien différent, mais en y réfléchissant, ça parle quand même de choses similaires : l’unification d’un peuple, sa révolte, etc... Il aurait fallu en faire une véritable fresque, et non un petit film de guerre dont l’aspect politisé gâche encore plus les choses. Et puis le fondu en vaguelettes pour les flashbacks, ça m’a achevé.

A nouveau, on pourrait croire que je m’acharne un peu dessus, en oubliant que c’est 1966... Mais justement, des films de cette époque, et même des films d’avant qui s’attaquent à des sujets tout aussi difficiles ont une richesse beaucoup plus grande. Alors non, forcément, ça n’est pas aussi mauvais que Les Oies Sauvage, dont je parle plus haut, c’est juste un peu banal, et franchement con. Je me montre magnanime juste parce qu’il y a des gens que j’aime bien dedans. Voilà, je suis faible.

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le 14 janv. 2013

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Lt Schaffer

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