Le film, L’ombre de Staline d’Agnieszka Holland, pose clairement la question de la mise en perspective d’une Histoire passé dans le monde d’aujourd’hui. De quelle manière mettre en relation l’Histoire avec l’actuel au cinéma sans tomber dans l’académisme mais faire réellement rebondir ces évènements avec la société que l’on connait, surtout quand celle-ci y fait écho très naturellement. Ainsi dans L’ombre de Staline, tout est une histoire de contexte, d’abord du point de vue de l’ignorance puisque le film met en image le monde soviétique sous Staline peu avant le début de la seconde Guerre Mondial du point de vue occidental et notamment britannique, jusqu’à ce qu’un jeune conseiller politique du nom de Gareth Jones prenne le costume de journaliste et se dirige en URSS avec pour but d’interviewer Staline. L’ignorance de celui-ci laisse alors place peu à peu à la découverte avec le public dans le même temps après que le contexte politique soit exposé, jusqu’à ce que la pleine conscience de la situation soit prise, mêlant intrigue policière et film d’époque dénonçant clairement une partie de l’Histoire.


Cependant le film joue brillamment avec ces histoires de contexte et ce dès les premières minutes du film où George Orwell en personne nous donne une première approche de ce qui se passe, permettant au film de prendre directement du recul sur l’intrigue qui va suivre et mettant alors en avant la démarche intellectuelle de remise en question qui sera l’objet principal du film. Jusqu’où sommes-nous prêts à accepter les injustices d’un système pour pouvoir y être intégré en tant qu’individu à l’intérieur, ce qui n’est pas sans rappeler loin de là ce qu’il se passe encore aujourd’hui dans cette deuxième décennie du 20éme siècle. Toutefois, le film met en avant un discours de l’opposition du héros assez caricatural par moment, ou du moins trop explicit par rapport au cadre de la fiction, ce qui nous empêche d’éprouver une haine totale envers ce groupe d’individus obnubilés par la reconnaissance et la quête de pouvoir. Ainsi, le film ne va pas vraiment vers une émotion forte et intense de ce que vit le personnage principal, mais plutôt en gardant une distance avec le récit de l’histoire déjà assez fort en lui-même pour se contenter de mettre en valeur la réflexion philosophique et politique que L’ombre de Staline met en scène, au détriment d’une proposition purement et « simplement » artistique.


Comme il est expliqué au début du film, l’histoire est exprimée très simplement, de manière linéaire si ce n’est les deux ou trois sauts dans le temps avec le narrateur, mais sinon toujours du même point de vue qu’est celui de Gareth Jones. En effet on comprend donc assez facilement tous les passages du film sans toutefois tomber dans la sur explication mais plutôt dans un parfait équilibre, le tout dans une imagerie, un rythme et un montage qui fluidifient parfaitement le film au service de la mise en scène, pas très sobre certes, ce qui peu déplaire par moment à la longue, mais toujours dans une quête d’harmonie total et parlante pour le spectateur.


Ainsi le film nous projette dans trois grands environnements distincts, le monde occidental avec la Grande Bretagne, et l’URSS avec Moscou dans un premier temps, vitrine de la supposée réussite soviétique, et la campagne de ce même monde, victime de tant d’atrocités qu’on a voulu dissimuler, tant du côté Russe qu’occidentale. Mais c’est par contraste de ces éléments que le film va se démarquer et faire ressortir toute son intelligence. En effet, le film parvient à raconter son histoire ne serait-ce que visuellement par contraste, participant alors grandement au rythme très fort du film bien qu’il ne s’y passe pas particulièrement énormément de chose de manière physique à l’écran. La chaleur et la liberté va s’effacer pour laisser place au froid, à la peur et à l’autorité une fois la destination atteinte, pour peut à peut s’aggraver afin de laisser place à une véritable horreur absolument bouleversante. Tout se périple qui annoncera par la suite un retour au source beaucoup moins accueillant qu’au début, étant plus formel, superficiel et hypocrite, toujours avec ces mêmes couleurs mais pâlie par l’expérience du héros qui ne reflète qu’un goût amère de tromperie victime d’hypocrisie, ne sachant plus déterminé le bien du mal mais pouvant juste faire le constat d’un monde au bord du gouffre.

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le 28 juin 2020

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