Il m'aura fallu un mois pour retourner au cinéma, non pas par peur d'attraper un quelconque virus, mais surtout parce que la programmation n'était pas particulièrement excitante. C'est finalement cette Ombre de Staline qui m'aura fait faire le déplacement, sous les conseils d'une amie.
On ne va pas se le cacher, avec des amis comme elle, je n'ai plus besoin d'ennemis.
Commençons tout de même par les points positifs. Le film dure 2h, ce qui lui laisse le temps de bien mettre en place son sujet. Il peut en gros être découpé en 3 parties : le voyage en URSS de Gareth Jones, initialement confiné à Moscou ; sa fuite en Ukraine pour y découvrir la terrible vérité ; et son retour au pays, entre la pression soviétique et sa mise au pilori par ses pairs.
Globalement, le film maîtrise assez bien les émotions qu'il veut véhiculer au spectateur. Comme Jones, on est exaspéré par l'indolence dont font preuve les journalistes moscovites, on est effrayé par la situation ukrainienne, et on a mal au coeur quand personne ne veut croire à son histoire et qu'il devient cible de railleries jusque dans son village natal.
Et c'est à peu près là que vont s'arrêter mes compliments. Si la forme du film est correcte, son fond est d'une platitude absolue.
Tout d'abord, l'enquête de Jones est motivée parce que, selon lui, les chiffres de l'URSS "ne collent pas". D'accord, mais quels chiffres ? Le chiffre d'affaire de l'URSS ? Les chiffres de l'exportation du blé ? Les chiffres du Loto ? On ne sait pas, et pendant la première partie du film on n'aura jamais une quelconque démonstration que Jones a raison. Evidemment, quand on connaît l'Histoire, on sait ce qui se passe en Ukraine en 1933, mais j'aurais bien voulu savoir ce qui a éveillé les soupçons de Jones au lieu d'un simple "les chiffres". Peut-être que si le film avait passé un peu moins de temps à nous raconter ses mièvres rencontres avec [personnage féminin de fonction] et celles avec le vilain homosexuel Duranty on aurait pu détailler ces fameux chiffres, hélas il fallait bien un méchant et une amoureuse dans cette histoire.
Parlons maintenant du voyage en Ukraine, autour duquel tourne tout le film...et qui dure 30 minutes à tout casser. On enchaîne donc à un rythme effréné tous les poncifs du genre : militaires tyranniques, cadavres dans les rues, bébés laissés pour mort, cannibalisme et émeutes lors des distributions de ration.
"Pourquoi y'a-t-il une famine ?" demande Jones à un passant. "Parce qu'on envoie tout le blé récolté à Moscou", répond celui-ci. Parfait, sans plus de vérifications, Jones écrira ça dans son article une fois rentré au pays. Nul doute que si le vieux lui avait répondu que le blé était envoyé à Issou dans les Yvelines, Jones aurait également propagé cette info.
Bref, une fois que tous les clichés auxquels la réalisatrice a pu penser ont été épuisés, Jones est capturé et expulsé du pays (sympa), après lui avoir fait comprendre que la vie d'otages britanniques dépendait de son silence (pas sympa).
Quelles sont les origines de la famine qui frappe l'Ukraine ? On ne sait pas. Jones non plus d'ailleurs, mais il s'en fiche. Après une courte discussion avec George Orwell, il réalise que son article peut sauver des millions d'Ukrainiens (va savoir comment) et que ce bénéfice vaut bien la mort de 6 Britanniques (qui ne seront finalement pas exécutés, ils sont quand même sympa au NKVD). Du coup, son article est publié puis démenti par Duranty (le vilain gay), Jones déprime, puis il republie son article et est cette fois-ci acclamé par toute la profession. Comme quoi, même à l'époque, écrire n'importe quoi sans source ça pouvait passer.
Par ailleurs, le stagiaire responsable du montage a découvert à ce moment du récit la fonction "Avancer x4" de Sony Vegas Pro. Du coup il l'a utilisée pendant la scène où Jones fait du vélo en bord de mer. Qu'est-ce que ça apporte ? Rien. Est-ce que ça tranche avec la thématique sérieuse du film ? Totalement.
Je ne remets évidemment pas en question les articles écrits par Jones de son vivant. Néanmoins, le traitement qu'en fait le film est trop superficiel pour que j'aie envie de croire en son histoire. Sans preuve autre que les fameux "chiffres" et le témoignage d'UN Ukrainien, on nous fait croire qu'il a sorti un article qui dérangeait le pouvoir en place. Je pense que Staline se serait juste bien marré si les écrits de Jones se limitaient à des preuves aussi peu solides.
Notez d'ailleurs que ce brave Jones a pris des photos lors de son voyage en Ukraine, mais que celles-ci ne sont pas du tout exploitées une fois revenu au pays. J'imagine que son appareil a été saisi par le NKVD, mais c'est un peu con de ne pas l'avoir montré, parce que ça au moins c'était une preuve factuelle que quelque chose n'allait pas dans cette contrée stalinienne.
Bref, c'est un film qui se brosse avec les faits et qui les remplace par l'émotion. Je ne m'attendais pas à un reportage Arte, mais le sujet me semble suffisamment grave pour qu'il soit traité avec un peu plus de sérieux. C'est limite insultant pour la mémoire de Jones.