Après une courte carrière dans le théâtre et la réalisation d’un court-métrage et de quelques co-productions, Henri-Georges Clouzot dirige seul, sous l’occupation allemande, « L’Assassin habite au 21 », adapté d’un livre de Stanislas-André Steeman et produit par la Continental Films (la société de production fondée en France pendant la guerre et financée par les allemands, pour éviter de voir le développement d’une industrie française nationaliste).


Nous sommes à Paris. Toute la ville est en émoi, car agit un tueur en série redoutable, qui tient en échec la police depuis plusieurs semaines. Pire encore, l’assassin a l’outrecuidance de signer ses méfaits d’une carte de visite au nom de "Monsieur Durand". Pour la maréchaussée, cela ne peut plus durer : le préfet charge ses subalternes de retrouver coûte que coûte le meurtrier, et c’est, au bout d’une longue chaîne hiérarchique, au commissaire Wens à qui la responsabilité de mettre fin aux agissements du criminel échoit.


Celui-ci reprend son enquête, et, rapidement, son attention est attirée par une pension de famille "Les Mimosas", dans laquelle résident quelques personnages hauts en couleur. Parmi ceux-ci se trouve très probablement le fameux Monsieur Durand…


Avec cette première réalisation, Henri-Georges Clouzot pose déjà les bases de son œuvre et des caractéristiques de son style : un souci du suspense, un sens de la tension et une maîtrise du thriller. Il mâtine ici son récit d’un ton caustique certain, dépeignant des personnages caricaturaux et des situations humoristiques. Le film est assez badin, traitant souvent avec légèreté d’une enquête policière sur un tueur en série, mais ne manque pas d’égratigner au passage quelques figures caractéristiques de la société : la tenancière avare, l’infirmière lascive, le médecin misanthrope, le policier couard et son préfet bureaucrate. Les "artistes" en prennent particulièrement pour leur grade, Clouzot tournant en ridicule la romancière, la chanteuse et le prestidigitateur.


Pour son premier long-métrage, le réalisateur s’entoure de collaborateurs (non, non, pas ceux-là…) avec lesquels il retravaillera à plusieurs reprises :



  • L’immanquable Pierre Fresnay, sa stature droite, sa présence physique intimidante et sa voix puissante et charismatique, qui réussit aussi bien dans les registres dramatiques que comiques.

  • L’insupportable Suzy Delair, qui, à 97 ans et bien portante, doit être l’une des plus vieilles actrices françaises encore vivantes.

  • L’acariâtre Noël Roquevert, qui tonne et tempête et possède l’un des meilleurs rôles du film.

  • L’inimitable Pierre Larquey, un curieux bonhomme à la diction si particulière, qui excelle particulièrement dans la partie comique (impossible de l’en dissocier, ni de le prendre vraiment au sérieux, avec sa voix et sa bonhommie…).


Qu’il enferme ses personnages dans une petite pension d’où se dégage une ambiance Cluedo charmante, qu’il dépeigne la rue ou les alcôves du Quai des Orfèvres, Clouzot excelle et propose un montage nerveux, maintient le suspense et la tension jusqu’au bout, sans oublier d’émailler son film par de nombreux et excellents moments d’humour qui confèrent une légèreté moqueuse à l’ensemble.


Avec cette première véritable réalisation en solitaire, Henri-Georges Clouzot signe déjà un excellent film qui posera les jalons de ses thèmes favoris : le thriller, une ambiance assez sombre et des personnages, reflets de la société, chez qui il n’y a pas grand-chose à sauver. Un petit chef d’œuvre dirigé avec une virtuosité certaine, et, même si l’on est déçu de ne pas avoir deviné correctement, l’on ne peut que s’incliner devant ce final d’une maîtrise brillante.

Aramis
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le 29 juin 2015

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