La plus grande force du cinéma d’Antonioni réside dans le rôle qu’il confie à son spectateur. Au lieu de lui servir une histoire ficelée, il le garde actif en le faisant témoin et juge. Il le laisse sur ses interrogations ou ses propres conclusions en ne dénouant pas chaque situation, en ne décidant pas lui-même du destin de ses personnages. Dans L’Avventura, on n’est mis devant une situation où la passion et l’ingratitude s’entremêle. Deux femmes n’arrivent pas à s’extirper d’une attirance pour Sandro, un architecte bellâtre, fortuné mais narcissique qui ne peut s’empêcher de posséder celles qu’ils trouvent alléchantes. Un véritable macho que plusieurs enverraient à la potence aujourd’hui, mais que l’auteur s’abstient de condamner. Un être égoïste et de nature méchante (la séquence où il renverse volontairement, et sans aucune raison, l’encrier sur le dessin d’un artiste est troublant). Alors que sa fiancée Anna vient de disparaître mystérieusement sur une île, il se tourne sans scrupule vers l’amie de celle-ci. Après avoir tenté de le repousser, Claudia cède à ses avances et se retrouve dans la même relation déchirante à laquelle était soumise son amie Anna. Monica Vitti joue le déchirement passion-raison avec justesse quoique ses personnages se ressemblent d’un film à l’autre. La séquence finale où l’on voit Sandro repentant après avoir été surpris par Claudia dans les jupes d’une prostituée recèle toute l’intelligence du réalisateur. La main hésitante de Claudia avant de devenir consolante laisse au public le soin d’imaginer ou de conclure.