Un film pacifiste de l'entre-deux-guerres, triste "ironie" !

Avec L'Homme que j'ai tué, adapté d'une pièce éponyme de Maurice Rostand, Ernest Lusbitsh livre une oeuvre puissamment pacifiste qui porte un regard critique sur cette période d'après-guerre tout en explorant le thème de la rédemption d'une manière intéressante.


S'il y a bien une chose qui m'a impressionné durant mon visionnage, c'est l'efficacité et la maîtrise avec laquelle le réalisateur matérialise l'idéologie qu'il insuffle au film. Son ouverture résume à elle seule toutes ses intentions : une série d'images fortes, accolées par surimpression, qui montrent le décalage entre les éclats de joie d'un défilé militaire et les stigmates laissés par cette Grande Guerre. L'un des plans nous présente ainsi une vue de la parade au travers "des jambes" d'un soldat unijambiste. Une mise en scène regorgeant d'éloquence dont les fulgurances vont continuer à émailler le reste du film avec un sens des détails toujours aussi bien aiguisé.


La repentance de Paul, soldat français brisé par sa première mise à mort au combat, constitue donc le fil rouge de l'histoire. Rejetant l'idée du devoir patriotique censée le déresponsabiliser, il décide de se rendre en Allemagne pour retrouver les traces de la famille de Frantz, son homologue germanique et enfin soulager sa conscience. Une rencontre aux prémisses tumultueuses qui va progressivement évoluer plus positivement; le personnage du père nageant lui aussi nageant à contre-courant dans l'idéologie dominante des "vaincus".


La thématique de la mémoire a bien évidemment une place centrale dans l'histoire. Les parents, "orphelins d'enfants", chérissent et idolâtrent les derniers reliquats laissés avant le dernier départ au front. Chaque nouveau souvenir déterré provoque une joie immense; celle de redécouvrir l'être disparu. Le film hérite d'un dosage émotionnel très fin qui appuie ces situations sans jamais rentrer dans la lourdeur. Les sentiments sont démultipliés, non pas par des effusions démonstratives, mais par un habile jeu d'échelles. Une mère retrouve le sourire en apprenant un infime détail d'une recette tant apprécié par son fils. Alors, imaginez la réaction de la mère de Frantz qui découvre un "ami" lointain venu de France pour fleurir la tombe de son fils.


La dimension musicale est également bien travaillée. Elle rapproche les deux hommes, tous deux violonistes, elle illustre ludiquement les médisances du village, elle souligne les traumatismes indélébiles, elle apaise des coeurs en concluant magistralement ce brulot humaniste.


Un film qui marque par sa maîtrise et son apparente simplicité. Un essai engagé qui représente un témoignage captivant de l'Histoire.

GigaHeartz
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le 28 août 2016

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GigaHeartz

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