Pour son premier film, Terrence Malick ne s’était pas rendu la tâche facile. S’attaquer au road-movie pour débuter sa carrière cinématographique tient du suicide artistique quand on passe après Jean-Luc Godard, Arthur Penn ou encore Dennis Hopper qui furent les artisans de l’âge d’or du genre dans les années 1970.
Pourtant, au contraire de la plupart de ces illustres prédécesseurs, le réalisateur américain s’affranchit de la violence sulfureuse et polémique qu’aurait pu engendrer un tel film sur la fuite désespérée de deux meurtriers pour livrer un hymne à l’innocence. Cette approche du film toute métaphysique, religieuse, mystique se retrouve dans la traduction française du titre « Badlands » où la sanglante fuite du couple vers un hypothétique paradis se résume à une « balade » certes « sauvage » mais qui se déroule en toute quiétude.
Ce paradoxe se retrouve avec les deux personnages principaux campés avec perfection par Martin Sheen et Sissy Spacek. Kit incarne l’agitation, l’excitation, le meurtre, la folie tandis que Holly symbolise une jeunesse plus apaisée, en quête de liberté, innocente comme cette discussion surréaliste qu’elle a avec le propriétaire de la maison qu’ils viennent de prendre d’assaut pour réquisitionner des vivres et un véhicule en affirmant que son petit-ami est, si ce n’est fou, tout du moins bizarre.
Cette violence niée atteint son paroxysme à la fin du film quand Kit, finalement arrêté par les forces de l’ordre, sympathise avec celles-ci avant son arrêt de mort inévitable. On pourra ne pas être d’accord mais il me semble que cette violence qui ne dit pas son nom (Kit assassine tout de même plusieurs personnes) représente déjà l’un des thèmes forts du cinéma de Terrence Malick : ses personnages traitent toujours avec le diable avant de pouvoir approcher Dieu. Dans son cinéma, il y a toujours un obstacle plus ou moins difficile à franchir avant d’atteindre une certaine forme de paradis (la mort du fils dans « The Tree of Life » ; la guerre du Pacifique dans « La Ligne Rouge »…).
Pour autant, si on retrouve déjà ces thématiques, le coup d’œil malickien dans la mise en scène et la photographie splendide, la simplicité du film banalise quelque peu le propos. On est après tout très loin de la grandiloquence métaphysique (que j’encense personnellement) de ses derniers films (« Le Nouveau Monde », « La Ligne Rouge », « The Tree of Life »). La mise à distance des évènements qu’il instaure par sa réalisation tient finalement éloigné le spectateur qui se dit finalement, quand la poésie malickienne s’exprime le moins, qu’il regarde un road-movie ordinaire et facile.