juin 2011:

Sans doute avant la programmation de "Tree of life", l'Utopia de Montpellier nous sert le premier film de Malick, histoire de nous titiller l'oreille et les yeux. Pour quelqu'un comme moi qui ne l'a pas vu, c'est une occasion rêvée de le découvrir en salle. Même si la pellicule montre les stigmates de maints voyages et projections, le plaisir du grand écran et d'un cinéma aussi contemplatif devant la vaste et généreuse nature est une denrée suffisamment rare pour la siroter avec délice. Que la femme que j'aime soit à mes côtés dans la salle et m'offre sa main ou ses jambes à caresser n'altère en rien, bien au contraire, l'immersion dans cette drôle d'histoire.

Ce couple, jeune, fougueux et étrangement cynique n'est pas le premier à raconter une épopée meurtrière, le cinéma est toujours ravi à l'idée de répéter "Bonnie and Clyde". Spectacle, romantisme et introspection assurés.

Pas sûr que Malick ait écrit ce film pour eux. J'aurais plutôt tendance à penser qu'il les a utilisé pour filmer ce Dakota, ce Middle-West jusqu'aux premiers abords des Rocheuses, ces grands espaces si grands et plats que les routes ne sont pas toujours nécessaires, que les hélicos remplacent parfois les voitures.

Certes, Holly (Sissy Spacek) finit par s'interroger enfin sur la violence de son camarade et la validité de ses sentiments à son égard, mais le personnage de Kit (Martin Sheen) reste impénétrable, un mystère que la fin prolonge, avec une insouciance ou une inconscience affichée jusqu'au bout par le bonhomme.

Le film montre beaucoup plus les contrastes entre la vie que ces jeunes gens subissaient avant leur cavale et la grande liberté dont ils jouissent et que la nature pourvoit presque abondamment, ce qui ne signifie pas qu'ils ne s'en lassent pas d'ailleurs. Le film est tourné en 1973, date du premier choc pétrolier. Depuis belle lurette les États-Unis n'en finissent pas de s'enliser, de se perdre dans le bourbier vietnamien. Dans les années à venir le monde changera encore et toujours, et la société a déjà commencé à s'interroger sur l'American way of life, la consommation et les idéaux proposés à la jeunesse sont d'ores et déjà amplement discutés. Le carpe diem que s'octroient Kit et Holly dans leur cabane, près du grand fleuve a quelque chose de revendicatif, un retour à la nature presque hippy et forcément hors du monde, contraints qu'ils sont à vivre dans leur "désert". L'interrogation ne tourne pas encore au mysticisme cher à Malick. D'autant plus que les deux aventuriers ont aux trousses chasseurs de prime et flics. Je ne dis pas non plus que le film propose une réflexion originale, ni très puissante intellectuellement. On a droit au scepticisme de Kit face à l'opulence d'un riche homme qu'ils séquestrent pendant un moment. Cela débouche sur le bien fondé du bonheur des possédants. Simple.

Non, ce qui m'a plu, outre la très belle maitrise des temps qui m'est si chère et que l'équilibre du scénario fait plus suggérer, c'est le très soigneux travail sur les cadrages et la photographie. Le film se révèle très beau, ample, d'une sérénité visuelle que de longs plans assurent.

J'ai parlé de "contemplation" plus haut. Dès son premier film, Malick instaure un système narratif et scénique qui repose sur le cadre, l'environnement, que ce soit la vie qui s'imprègne dans la décoration intérieure des maisons ou bien plus nettement encore grâce à la nature qui entoure les personnages, les embrasse, témoin et actrice, enrobante et provocatrice. La nature joue un rôle ici, celui de support au drame. Scènes de théâtre, ces grandes prairies aspirent les personnages vers un horizon infini. Elles les désorientent. Ils sont paumés, ne sachant où aller ils errent à la recherche d'un sens qu'ils ne retrouvent décidément jamais.

Malick sait merveilleusement utilisé cette nature et le monde qui enserre les personnages pour mieux dessiner son récit. Un peu comme le cinéma asiatique et notamment le japonais, attentif depuis bien plus longtemps à la vie qui coule dans les ruisseaux, au vent qui fait bruisser les branches ou les herbes. Regarder et écouter la nature, lentement profiter de son éternité, évaluer l'intemporel et l'absence de passion des éléments permet à Malick de souligner l'incongruité humaine, la dérive absurde de nos vies, leur fragilité autant que l'inconscience qui nous en sépare. Dans ce film, l'incompatibilité entre l'ordre du monde et celui des hommes parait évident. Ce couple essaie de vivre le plus naturellement du monde mais ne parvient pas à s'accorder aussi bien à la nature qu'entre eux. De ce désaccord nait la violence.

Un peu simpliste mais traduit d'une manière très élégante et sûre. Un très joli film. Un premier film déjà fondamentalement maitrisé.
Alligator
8
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le 19 avr. 2013

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Alligator

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