Illustrations des six déclinaisons du western, à savoir le grotesque-spaghetti, le western des hold-up et corde au cou, le recherche frénétique de l’or, le morbide, l’humaniste tragique et enfin le crépusculaire ; tous retracent l’évolution historique du genre, de l’âge d’or à la John Wayne aux recréations et récréations d’un Quentin Tarantino, de la grandiose épopée opposant colons américains et Indiens au gothique d’un Brimstone ou The Salvation en passant par Sergio Leone. Nous commençons et finissons en chantant, le ciel de la première chanson écrasant son interprète au vaste chapeau sous un soleil de plomb, les ténèbres de la dernière avalant la diligence et les mythes qui s’y assirent. Règnent la mort et la conscience d’un tempus fugit. Nous assistons à un crépuscule des idoles ; le cadavre a été sorti de la diligence, la diligence vidée de ses occupants puis réorientée dans le sens inverse comme pour remonter ces routes sinueuses et espérer retrouver le souffle premier. Les Frères Coen réinvestissent les paysages de l’Ouest américain pour justement y chercher leur souffle originel, sous l’astre solaire qui chauffe les esprits et génère la folie, leur folie. La Ballade de Buster Scruggs est une œuvre sur l’incertitude où le hasard mis en scène apparaît comme désamorçage de ce même hasard : ici tout se répète et danse en pas de deux, un trou dans le front dessiné par l’index ou creusé par une balle, une main levée en signe de paix dont chaque doigt explosa plus tôt, des Indiens tuant ou libérant malgré eux. Un même signe, deux comportements, une pluralité de lectures. Le film s’interroge sur les origines du hasard, veut savoir qui de l’œuf ou la poule, du tronc humain ou de la poule voyante, fut là le premier. La réponse est volée dans le nid du hibou, figure mystique qui semble incarner, telle une allégorie, le mystère existentiel. Pas de chance pour le voleur, dans l’œuf nulle réponse : dans la poêle se juxtaposent et l’œuf et le poisson, l’un n’ayant pas encore vu le jour, l’autre ayant donné la vie (cf. le ban de petits poissons) ; en somme, l’œuf et la poule… Le serpent se mord la queue. La pensée humaine épouse le convoi infini de roulottes et de chariots faisant de chaque homme un bohémien errant, l’homme égaré qui ne sait où il va, mu par la seule nécessité d’aller quelque part. Ces six chemins tracés convergent vers un hôtel au curieux tapis rouge, à l’aspect d’un cinéma : nous voilà arrivés au foyer actuel des Coen, ayant éprouvé les routes que leur filmographie déclina de la plus merveilleuse manière qui soit. D’un côté les pécheurs, de l’autre les honnêtes gens. Non les faibles et les forts. Non les morts et les vivants. Dualité de l’homo duplex, identité d’un même cinéma pourtant porté par deux frères. « Les homme sont comme des furets », ils échappent aussitôt que l’on pense les contenir. À la manière des réalisateurs qui livrent ici un film choral d’ailleurs chanté qui souffre de quelques longueurs mais qui parvient à imposer une vision cinématographique exigeante, une grammaire confuse de la confusion absurde, cette même absurdité qui guide les pas de chacun et anime le cinéma de deux frères visionnaires, révolutionnaires, en constante réinvention.

Créée

le 18 nov. 2018

Critique lue 469 fois

9 j'aime

5 commentaires

Critique lue 469 fois

9
5

D'autres avis sur La Ballade de Buster Scruggs

La Ballade de Buster Scruggs
guyness
8

Sketches of pain

La fin du ouest terne. Le Western semblait à tout jamais condamné. Oh, pas à disparaitre, puisqu'il ne cesse de renaitre, certes pas comme un genre qui produisit entre 50 et 100 productions par an à...

le 18 nov. 2018

93 j'aime

19

La Ballade de Buster Scruggs
Vincent-Ruozzi
8

Western Tales

Pour Joel et Ethan Coen, le Western ne relève pas de la terre inexplorée. Ils avaient avec True Grit rendu un bel hommage au genre avec son duo improbable menant une difficile vengeance. Dans La...

le 19 nov. 2018

64 j'aime

12

La Ballade de Buster Scruggs
EricDebarnot
9

Plaisir du cinéma, plaisir de la lecture...

"La Ballade de Buster Scruggs" était un film sacrément attendu au tournant, et ce pour au moins deux bonnes raisons. D'abord on espérait revoir ces grands cinéastes que sont devenus les Frères Coen...

le 19 nov. 2018

63 j'aime

6

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14