Le premier épisode donne le ton, il parodie tous les autres, le dernier se fait discursif (mais pas tant, épatant), c'est parfaitement balancé, entre les deux les motifs se promènent :
il y a les trous, ceux du chien de prairie comme ceux de l'orpailleur, quelle drôle d'espèce,
il y a ceux que les hommes se creusent entre eux, entre furets d'après le trappeur,
il y a l'incertitude, à l'honneur tout du long mais soudainement kitsch quand on la verbalise au coin du feu entre deux caravanes,
il y a les nuages, ça paraît con comme ça, mais si l'on cite le poème OZYMANDIAS de Percy Bisshe Shelley au troisième épisode (I met a traveller from an antique land...), rappelons qu'il a aussi écrit le poème MUTABILITY, qui commence un peu comme ça :


I.
We are as clouds that veil the midnight moon;
How restlessly they speed and gleam and quiver,
Streaking the darkness radiantly! yet soon
Night closes round, and they are lost for ever:


OZYMANDIAS nous parle de l'impossibilité du royaume de l'homme, les statues s'écroulent toujours. L'artiste antique qui saisit la gloire, probablement convaincu à l'époque, sans le savoir en saisissait déjà l'ironie,


OZYMANDIAS of EGYPT


I met a traveller from an antique land
Who said: "Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desert. Near them, on the sand,
Half sunk, a shattered visage lies, whose frown,


And wrinkled lip, and sneer of cold command,
Tell that its sculptor well those passions read,
Which yet survive, stamped on these lifeless things,
The hand that mocked them and the heart that fed,


And on the pedestal these words appear:
'My name is Ozymandias, king of kings:
Look on my works, Ye Mighty, and despair!'


Nothing beside remains. Round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare,
The lone and level sands stretch far away.


L'impossibilité du réel, c'est tout de même un peu la tarte à la crème, il y a philosophiquement du dividende peu de concepts à discourir sérieusement, la philosophie, cet étrange science fondamentale du réel, aussi lucide soit-elle a besoin d'un lieu, pour s'y épanouir, et pour ce faisant s'affranchir de l'impossible écart entre le peu de réel que l'on peut soumettre et la quantité de mots que l'on peut pourtant mettre à contribution,
sans lieu la philosophie devient bavardage,
l'amour est un beau lieu parmi d'autres, pour quelques libérations, des êtres et de leur langage, c'est pas pour rien que toutes les histoires du monde tournent à peu de choses près autour de ce sujet,
l'amour libère, à condition peut-être qu'il soit sans âge, pour qu'il soit toujours naissant, comme disait Blaise Pascal,


ça reste fébrile, et si vous mettez dans une caravane un français libertin, une pieuse américaine et un trappeur assommant, pour en parler, d'amour, l'impossible pointera sournoisement le nez derrière les petites moustaches de celui qui possède le carrosse.
(Chez les frères Coen du moins, c'est qu'ils ont l'esprit cynique)


II.
Or like forgotten lyres whose dissonant strings
Give various response to each varying blast,
To whose frail frame no second motion brings
One mood or modulation like the last.


III.
We rest—a dream has power to poison sleep;
We rise—one wandering thought pollutes the day;
We feel, conceive or reason, laugh or weep,
Embrace fond woe, or cast our cares away:—


IV.
It is the same!—For, be it joy or sorrow,
The path of its departure still is free;
Man's yesterday may ne'er be like his morrow;
Nought may endure but Mutability.

Vernon79
9
Écrit par

Créée

le 27 nov. 2018

Critique lue 306 fois

9 j'aime

22 commentaires

Vernon79

Écrit par

Critique lue 306 fois

9
22

D'autres avis sur La Ballade de Buster Scruggs

La Ballade de Buster Scruggs
guyness
8

Sketches of pain

La fin du ouest terne. Le Western semblait à tout jamais condamné. Oh, pas à disparaitre, puisqu'il ne cesse de renaitre, certes pas comme un genre qui produisit entre 50 et 100 productions par an à...

le 18 nov. 2018

93 j'aime

19

La Ballade de Buster Scruggs
Vincent-Ruozzi
8

Western Tales

Pour Joel et Ethan Coen, le Western ne relève pas de la terre inexplorée. Ils avaient avec True Grit rendu un bel hommage au genre avec son duo improbable menant une difficile vengeance. Dans La...

le 19 nov. 2018

64 j'aime

12

La Ballade de Buster Scruggs
EricDebarnot
9

Plaisir du cinéma, plaisir de la lecture...

"La Ballade de Buster Scruggs" était un film sacrément attendu au tournant, et ce pour au moins deux bonnes raisons. D'abord on espérait revoir ces grands cinéastes que sont devenus les Frères Coen...

le 19 nov. 2018

63 j'aime

6

Du même critique

Battleship
Vernon79
8

Battleship: un film d'action de société

Tout commence à l'entrée du cinéma. Le film est déjà commencé, mais toi t'as pas fini ton kebab et tu sens au fond de toi même qu'il n'y a pas le feu au lac (faut attendre la dernière demi-heure du...

le 17 mai 2012

38 j'aime

5

Les Goonies
Vernon79
9

C'est pas parce que l'on est grand que l'on doit rester assis

Dans le premier tome des "Scènes de la vie de provinces", Balzac tentait de nous expliquer comment "durant la belle saison de la vie, certaines illusions, de blanches espérances, des fils argentés...

le 20 mai 2012

25 j'aime

15

Fitzcarraldo
Vernon79
10

Qu'est-ce que le luxe ?

Une gazelle, c'est exotique dans un zoo à Montreux, pas dans la savane. Un labrador, c'est exotique sur l'Everest, mais pas sur une plage bretonne à faire chier les crabes. Et bien voilà c'est un peu...

le 25 juin 2018

22 j'aime

17