Et soudain, à la moitié du film, une angoisse, terrifiante.


Et si le film, à partir de là, évoluait vers du mieux ? Ça semble alors presque irrémédiable, tant le degré de ratage des trois premiers quart d’heure atteint un pinacle. Ce serait du coup plus que décevant, car on ne pourrait plus parler ici d’un des films les plus navrants, ratés, et grotesques de l’histoire de notre déjà bien meurtri cinéma national.


Mais ce serait sans compter sur le talent spectaculaire de Justine Triet: la gifle esthétique, sensuelle et intellectuelle dure bien 94 mn. De ces minutes qui n’ont pas tout à fait la même réalité que les autres, et c’est en soi un exploit: étirées différemment, elle permettent de faire un pas dans l’étrange, l’ailleurs, une sorte de territoire inexploré. Vous n’aviez jamais imaginé qu’on puisse aller si loin de toutes les valeurs auxquelles vous tenez.


droit du sang, droit du Solérino


Deux mots sur l’histoire, on est bien obligé.
(Attention, une aparté: tous les personnages portent le même prénom que les acteurs qui les interprètent, et on comprend vite pourquoi. Utiliser un patronyme imaginaire semble incompatible avec le niveau de jeu des interprètes.)


Alors, c’est l’histoire de Laetitia qui est une jeune journaliste de iTélé qui se demande si elle doit mettre une robe courte sans culotte avant de monter sur un scooter toute la journée pour suivre l’élection de François Hollande, en ce 6 mai 2012. Pas de bol pour la demoiselle, elle s’est séparée depuis peu de l’homme le plus stupide et insupportable du monde qui décide de voir ses gosses précisément en ce jour important entre tous, et ce, par tous les moyens possibles.
Encore moins de chance, Lætitia vit désormais avec un mollusque qui mérite presque autant de baffe que le premier, mais cette fois par un côté gentil et navrant. Ce dernier ne peut garder les enfants de Lætitia alors qu’on est dimanche (quand il rentrera dans la nuit, il racontera quand même qu’il était "dans la rue") et il faut donc laisser les enfants qui ne cessent de brailler à un babysitteur absolument inexpérimenté.
Vincent, le père séparé, qui ne peut mettre plus de 10€ dans un bouquet de fleurs, décide alors d’en mettre 50 dans un masque chinois. Il fait le forcing pour entrer dans l’appart de la journaliste, partie couvrir l’évènement de l’année politique avec un amateurisme qui laisse pantois, avant que tout ce joli monde ne se retrouve rue de Solférino au moment où l’élection se joue.


Si, si, je n’invente rien, le père, la mère, le babysitteur, leurs copains, se retrouvent tous à l’endroit le plus peuplé du pays, et pour quoi faire ? On ne sait pas bien. Ah si ! Pouvoir aller prendre d’assaut la seule table de bar réservée du quartier, d'où ils se font virer comme des malpropres, quand bien même le serveur sait que la demoiselle est de la télé.
On finira sans raison à deux heures du matin dans l’appartement de Lætitia, la joyeuse troupe étant rejointe par un futur avocat qui a moins de notions de droit que moi, moi qui n’ai jamais approché une fac de droit à moins de deux cents mètres (sauf pour y jeter des œufs, mais ça, c’était quand j’étais jeune, chevelu et avec des idéaux).


Bien sûr, en milieu d’histoire, on est parfois saisi par le doute: avec des parents si abyssalement pénibles et inconséquents, ne serait-ce pas normal d’obtenir des enfants si malheureux et pleurnichards ? Et si l’ensemble étaient beaucoup plus intelligent qu’on a envie de le croire, nous transformant en dindon de la farce ?
Le film provoque en nous, on le voit, des degrés d’angoisse insoupçonnés.


Triet, sur une volée


Souvent, on se demande ce qu’il peut y avoir de pire qu’un scénario inepte de bout en bout, servi par des dialogues répétitifs et inconsistants. Il arrive alors qu’on réalise qu’un film joué par les acteurs débutants les plus mauvais de leur génération donne quelque chose de plus désagréable encore.
La synthèse, en ce soir de victoire Hollandaise, est réalisée avec brio. Scénario grotesque PLUS acteurs liquides (peut-être Lætitia est-elle celle qui s’en sort le moins mal) qu’on ne pourrait même pas qualifier d’amateurs, puisque ça constituerait une insulte aux nombreux artistes qui exercent leur activité avec talent et conviction. On atteint au grandiose.
(Deuxième aparté: par pitié, Vincent Macaigne, à l’image d’un Lionel Jopsin contrit un soir de cuisante défaite, je te le demande solennellement: retire-toi du cinéma)


Le contexte politique ?
Passé l’exploit du tournage le jour J, cette toile de fond est aussi inexpressive et vaine que le propos du film.
N’est montré à l’écran que ce qui ridiculise la politique aux yeux de ceux qui ne voit dans le processus démocratique que sa croute repoussante. Ce n’est certainement pas ces extraits d’interviews, ces scènes de liesse qui permettront à la plaie républicaine de cicatriser: les arguments sont les convenus et creux, les moments de joies sont représentés dans ce qu’ils peuvent avoir de plus détestable.
Et peut-être, ce qui rajoute une couche supplémentaire d’agacement à tout ce qu’on a pu voir jusque là, est d’assister longuement à une joie populaire déjà disproportionnée à l’époque pour un candidat dont le rejet aujourd’hui semble tout aussi hors de mesure. Comme si les transports affectifs nationaux ne pouvaient s’exprimer que dans une démesure tapant à chaque fois à côté de la plaque, le plus grand nombre voulant à tout prix fermer les yeux sur les choses les plus flagrantes.


Face à ces 94 minutes d’engueulades malsaines et déjouées, un dernier malaise m’étreignait. Comment allais-je pouvoir refuser à mes jumeaux de 16 ans, adeptes (pour rigoler, m’assurent-ils) des pires émissions de trash-réalité, la possibilité de s’abreuver de bêtise humaine alors que je venais de m’infliger un exercice encore plus extrême ? Car, qu’on s’y trompe pas: la bêtise méchante est bien plus palpable et crédible dans les anges de la télé-réalité ou les Marseillais à Rio que dans cette heure et demi de néant définitif.


Si le talent était lui aussi en garde alternée, on en aurait eu un petit peu.

guyness

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