Nicolas Bedos signe avec La Belle Epoque un film malin et ambitieux. A l’image de son premier film, M. et Mme Adelman, qui racontait les tourments d’un couple sur plusieurs décennies, le réalisateur prend des risques dans sa narration, mais grâce à une jolie discipline, un certain goût pour les dialogues et une mise en scène solide et inspirée au service de son concept, La Belle Epoque garde le cap tout du long, même si le récit tient parfois sur un fil.
Les personnages naviguent entre les époques avec énergie, donnant au film des atours tantôt ludiques, tantôt émouvants. Bedos fait renaître les années 70 avec une excitation contagieuse, et sans doute avec elles la jeunesse de son père, à qui on ne peut s’empêcher de penser.
L’auteur n’a d’ailleurs jamais été très pudique sur sa propre vie, et la relation conflictuelle entre le scénariste joué par Canet et son actrice (Doria Tillier) est assez explicitement un décalque de sa relation avec la comédienne.
C’est sans surprise la partie la plus faible du film, qui a par ailleurs de nombreuses qualités. Ces allers retours entre le fantasme et le réel sont propices à une intéressante réflexion sur la théâtralité, le jeu, et par conséquence sur le mensonge, mais aussi sur le pouvoir réconfortant de la fiction.
En définitive les enjeux sont très simples, mais les sentiments beaucoup moins, surtout lorsqu’ils se télescopent avec les souvenirs. Il est question de passion et de lassitude, on se frotte à la complexité de la mémoire, de ce qu’elle modifie, et Bedos le fait avec un certain lyrisme et sans angélisme.
Ce film concept est aussi un formidable terrain de jeu où s’éclatent des acteurs investis comme rarement. Auteuil retrouve une intense expressivité, exprimant parfaitement à la fois l’amusement et le trouble de Victor face à cette jeune femme sensée jouer sa femme. Le naturel de Doria Tillier est désarmant et Canet n’est jamais aussi bon que lorsqu’il joue les parfaits connards, sans doute bien aiguillé par son réalisateur dont il est assez clairement l’incarnation à l’écran. Ils sont entourés d’admirables seconds rôles, Arditi et Podalydès en tête, mais c’est Fanny Ardant qui marque le plus les esprits, magnifique, débarrassée de certains de ses tics et assenant ses répliques avec un débit et une justesse qu’on ne lui connaissait pas. Elle est bouleversante.
Les dialogues claquent (parfois avec un peu de vulgarité, on ne se refait pas), les personnages se débattent entre euphorie et brutal retour sur terre, passent de l’émotion du coup de foudre aux dégâts du temps qui passe…
La Belle Epoque est une comédie romantique d’une rare exigence dans sa narration et l’exécution de son scénario. Bedos confirme qu’il a un style et le talent de son ambition. Après Mon Inconnu récemment, c’est une nouvelle preuve que la comédie française, lorsqu’elle est confiée à des auteurs, a de la ressource.

Créée

le 1 déc. 2019

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