Exaltant les valeurs de l’amitié virile tout en montrant ses limites, osant des plans en intérieur comme à l’extérieur assez étonnants, contant les misères causées par la propriété et un brin misogyne, La Belle équipe est une fable triste, poignante sans être transcendante.
Le réalisme social. Et quand Renoir veut prendre le scénario de Duvivier
Une anecdote pour commencer : alors que le scénario est en cours de développement, Jean Renoir tente de se l’accaparer et presse le scénariste Charles Spaak de demander à Julien Duvivier s’il peut le lui céder. Duvivier refuse. Renoir ne le regrettera pas car, à l’époque, le film réalise peu d’entrées. La raison ? Un ton trop pessimiste à une époque ou le Front populaire vient de triompher aux élections, où les ouvriers font grève tout l’été. Les français ont envie de croire en une amélioration de leur vie et sont aussi inquiets des fascismes les entourant. Un réalisme plus social que poétique et pas très réjouissant en somme.
Le métrage commence par des plans très découpés, tournés en studio mais continue ensuite par utiliser des travellings sur le fil de l’eau en pleine nature, ce qui est étonnant pour l’époque. Tout est signifiant, les gestes et les dialogues en premier lieu. La gouaille des années trente tinte dans les oreilles des spectateurs. Tout en douceur. Ce qui contrebalance l’histoire de Charles Spaak qui raconte brutalement les effets de l’arrivée d’une grosse somme d’argent dans une bande potes chômeurs. Ils ont beau être généreux, le destin les frappe. Le destin et les femmes.
Eve et Lilith : la femme amoureuse, la femme cupide
Il y a deux grands rôles féminins, deux types de femmes qui se dessinent. La femme plutôt douce, qui pleure lorsqu’on lui offre des cadeaux, qui prépare le café et qui aura la chance de partir avec l’homme qu’elle aime et qui l’aime en retour. Et puis il y a la femme fatale, qu’on retrouvera plus tard dans un autre beau film en noir et blanc, Rocco et ses frères. Elle dissocie les amitiés, rend fous les hommes, pense à leur argent, souhaite qu’un homme fasse sentir sa force. L’histoire est un peu misogyne car les hommes se séparent « à cause » des femmes comme le dit Jean lorsqu’il parle d’Huguette. D’un autre côté qu’il soient des« forts » ou des « poires » comme le dit Gina, ils finissent par briser eux-mêmes leur propre rêve. Bon, ils boivent beaucoup aussi dans cette histoire, cela n’aide pas à garder les idées claires non plus.
L’argent ou l’amour, faut choisir
L’argent tombé du ciel, la propriété sont des facteurs de souffrance au final pour celui qui travaille de ses mains, qui ne fait pas partie des dominants par le droit, semble t-on nous suggérer. Et donc la possession. Quand on essaie de faire sa propre affaire sans venir de la caste qui les fait habituellement, les choses sont ardues. Malgré l’amitié authentique. Là dessus, on ne fait ici aucune concession, et le regard porté sur cette société française est tendre mais mélancolique, presque désespéré.
Pourtant si on regarde bien, on s’aperçoit que certains personnages s’en tirent : la grand-mère et surtout ceux qu’elle bénit des ses vœux, le couple d’amoureux véritables.
Le seul salut possible se trouve en réalité dans l’amour entre une femme et un homme. Le pessimisme de Duviver ne concernerait donc que le groupe, la société dévolue aux possédants et ceux qui étaient libres, pauvres mais prisonniers, riches.
Finalement, la réflexion portée à l’écran est pertinente de nos jours. Et même plus fortement de nos jours quand on voit les salaires de certains grands patrons en regard du salaire plancher. C’est un lieu commun d’écrire cela mais ici c’est simplement l’évidence. Rien que pour réussir à résonner dans notre monde contemporain, La Belle équipe mérite d’avoir été réhabilitée.
Bonus : lien pour voir la vidéo réalisée en direct juste après la séance et en savoir plus :
Impression à chaud sur La Belle équipe