En tout cas, tels que nous les raconte Christophe Honoré dans La Belle Personne, film que j'avais raté à sa sortie et auquel j'ai pris un certain plaisir... différé de plus de dix ans.
L'histoire se centre sur une classe de terminale du lycée Molière, rue du Ranelagh à Paris, dans le seizième arrondissement. Et le film est entièrement tourné en décors naturels, façon Nouvelle Vague : dans une salle de classe ou la cour de récréation du lycée, dans les rues ou jardins avoisinants ou supposés tels (car certaines scènes sont tournées au Jardin des Plantes qui, lui, est dans le cinquième), dans un bar-café qui est le lieu de rendez-vous de la bande et de certains de leurs professeurs, mais aussi, pour une scène ou deux, à la Cinémathèque de la rue de Bercy et le petit appartement du prof d'italien Jacques Nemours. Si ce nom rappelle celui du duc de Nemours de La Princesse de Clèves, le fameux roman de Mme de Lafayette, c'est que le film s'en inspire très librement, tout en ayant adapté sa trame à notre époque. Les trois personnages principaux du film (deux élèves de terminale et le prof d'italien) sont la transposition des trois grands protagonistes du roman : la princesse et le prince de Clèves, et le duc de Nemours. Junie est jouée par Léa Seydoux, Otto (Clèves) par Grégoire Leprince Ringuet et Nemours par Louis Garrel.


Ce qui est bien dans le film c'est la reconstitution de la classe, des cours qui s'y déroulent, des relations existant entre les élèves et des rapports qu'ils ont avec leurs professeurs. Cet aspect-là est très bien vu, très charmant, très réussi. On regretterait presque de ne pas faire partie de la classe. Presque tous les élèves sont intéressants, plutôt beaux, vifs, intelligents, voire brillants, ouverts aux sciences et aux arts. Et quasi chacun a une ou plusieurs histoires de coeur avec un ou des autres élèves de la classe. On s'y perd un peu. On trouve ça trop idéalisé (on garde toujours en tête que c'est un scénario de ciné), mais c'est charmant et distrayant.
D'autant plus que le casting des élèves et professeurs est très huppé. Outre les trois déjà cités, il y a Anaïs Demoustier, Agathe Bonitzer, Clotilde Hesme, Esteban Carvajal Alegria, Chantal Neuwirth, laquelle est très bien en patronne du café servant de Q.G. à toute la bande (et où Chiara Mastroianni, très en beauté, fait une brève apparition). Bref, il y a du beau monde, côté comédiens, tout ça avec douze ans de moins qu'aujourd'hui, donc un visage presque adolescent, un teint frais, la silhouette encore gracile, le charme de l'extrême jeunesse (vernissée de cette bonne éducation que dispensent les milieux privilégiés).


Tout le monde ou presque connaît l'intrigue principale (celle du roman), mais des intrigues secondaires et certaines péripéties ont été ajoutées ou "modernisées" pour corser la sauce et nous donner un peu le tournis. Ainsi, l'épisode de la lettre perdue par son destinataire (ici, lors d'une séance de cinéma), avec tout le quiproquo et charivari qu'elle suscite, est assez habilement mise au goût du jour.


Par contre, j'ai trouvé le suicide d'Otto invraisemblable... en tout cas avec un Otto personnifié par un Grégoire Leprince Ringuet de vingt ans (ce qui est vieux pour être encore au lycée, quand on n'est pas un cancre), certes amoureux, mais apparaissant à ce point placide, les pieds sur terre, bien dans sa peau. Et puis, le sage Otto n'a rien d'un exhibitionniste, donc se suicider devant tout le lycée, se précipiter dans le vide, se briser le crâne et baigner dans son sang devant profs et élèves : non ! Il faut n'avoir aucun amour propre. Pour moi, la mort d'Otto (Clèves) est, dans le film, très mal gérée (mal pensée, mal amenée, mal filmée).


La dernière grande scène parlée (entre Junie et Nemours) est celle qui rappelle le plus le contenu du roman et le raisonnement de la princesse de Clèves, l'idée-force qui commande et explique son comportement : "Je ne me donnerai pas à toi... parce qu'il n'y a pas d'amour éternel ; il ne dure qu'un temps. Tu finirais par te détacher de moi et je ne le supporterais pas."


C'est le paradoxe du film (comme du roman dont il s'inspire) : une histoire qui se déroule dans un décor privilégié, avec des personnages jeunes et charmants, beaux, doués, avides de vivre, d'aimer et ayant, semble-t-il, tout pour être heureux, mais dont l'épilogue est dur et la morale pessimiste : Otto meurt en désespéré, Nemours est repoussé et Junie s'en va vers on ne sait quel destin solitaire.

Fleming
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le 27 mars 2020

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