À toutes les époques de l'histoire, il y eut des femmes indépendantes, fortes, capables d'envoyer balader le malappris ou le "pussy-grabber" le plus retors. Malheureusement pour elle, "Belle", l'héroïne de « La Belle et la Bête », n'en fait absolument pas partie.


Forcée de quitter Paris avec son père veuf, elle vit dans un village provincial paumé, dans lequel un bellâtre beauf, narcissique, abusif et plus ou moins violent, Gaston, la harcèle dès qu'elle ose sortir de chez elle. Comme si cela ne suffisait pas, son père part aux fraises et ne revient pas, elle va donc le chercher, et devient prisonnière d'un monstre à la pilosité hors de contrôle, vivant dans un château et lui aussi sujet aux accès de violence envers les femmes. Pas de bol pour elle.


Séquestrant Belle, puis refusant de la nourrir, puis physiquement violent envers elle, elle finira par le trouver "trop choupinou" et lui pardonner toutes ces vilaines méchancetés. Elle a le droit, après tout, une femme prise de force, battue et séquestrée par son compagnon a tout à fait le droit, le Syndrome de Stockholm aidant, de trouver ça normal si cela lui chante.
En ce qui me concerne, je dois avouer que c'est pas du tout mon truc, et j'aurais grandement préféré, dans le climat de l'amérique trumpienne de 2017, que l'histoire du film animé de 1992 soit légèrement réécrite en adoptant un ton un peu plus féministe... Oh, je n'en demandais pas beaucoup, bien qu'elle aurait pu suivre l'exemple de son père et vivre seule, elle aurait quand même pu se défendre de manière un peu plus vindicative, et forcer les hommes la courtisant à prouver leurs qualités avant de montrer leurs défauts. Ou juste se défendre. Ou planifier une fuite et ne jamais revenir. Ou même les tuer, après tout, je vois pas du tout le problème ; un bon kidnappeur est un kidnappeur mort.
Mais non, au lieu de cela, Belle se laisse faire pendant tout le film, parfois elle dit bien "non", ou elle gigote un peu quand on l'attrape de force, mais qu'on arrête de se raconter des histoires, Belle ne lutte pas contre les violences qui lui sont faites, et c'est le gros problème que j'ai avec le film.


De quel genre de message s'agit-il, qui encourage les jeunes femmes à pardonner la violence, et à tomber amoureuses des kidnappeurs, des déséquilibrés, des rustres, des violeurs, des mâles alpha colériques ou simplement des mecs abusifs, et à leur chercher des excuses ou à « vouloir trouver leurs bons côtés » (surtout lorsque ceux-ci sont de vrais tas de viande, comme la Bête) ? Aujourd'hui 10 % d'adolescentes avouent avoir été frappées par un partenaire et 1 fille sur 3 sera victime d'abus. Venant de Disney, qui a su faire le portrait de personnages féminins forts (Moana, Mulan, Rapunzel, Sally, Flora, Tiana...) on espérait mieux.


Je ne dis pas que dans l'histoire du film Belle ait beaucoup de choix qui s'offrent à elle (à part peut-être la fuite? Il doit bien avoir une ville à proximité, avec des gens tempérés et brillants, voire les deux à la fois, des lois...), mais les femmes d'aujourd'hui ont des choix. Elles peuvent dire non, elles peuvent rendre des coups ou même aller plus loin dans une situation de légitime défense, elles peuvent laisser tomber leur village de péquenots bouseux, et aller chercher mieux ailleurs. Las, il s'agirait là d'un film bien différent...
Probablement conscients du conservatisme du thème principal du film, les réalisateurs ont ajouté des histoires parallèles plus "modernes" : pas moins de deux baisers entre des personnes de races différentes et un baiser homo apparaissent furtivement. C'est malheureusement trop peu pour inverser la tendance ultra-conservatrice du film.


En ce qui concerne la réalisation, j'ai failli vomir pendant tout le film en raison de l'omniprésence du factice et du kitsch, et à cause de la laideur des effets spéciaux. Visuellement hideux de bout en bout, le film donne l'impression d'une vision complètement déformée de la France, un fantasme hollywoodien ridicule, sans âme ni culture, qui n'a absolument rien de créatif, et ne peut être né que dans les esprits acculturés d'américains n'ayant jamais mis les pieds dans l'hexagone ou dans un livre d'art. Aucune peinture aux murs, du mobilier mal assorti issu de plusieurs styles, des choix architecturaux plus que comiques, et des rues de village aussi propres que si les toilettes avaient existé en 1700 ; non, ça n'a rien à voir avec la France...
Pour beaucoup de français, le film sera une successions de kitscheries numériques hideuses et horripilantes, pour les amateurs d'art, une descente aux enfers dans un monde sans goût et sans identité. Un Gilliam, un Cuaron ou un Spielberg auraient pu en faire quelque chose, mais heureusement pour eux, le sort les a tenu à l'écart de cet immondice cinématographique et scénaristique.
Il y a l'accent soi-disant français d'Ewan McGregor, insupportable, le faux accent italien de Stanley Tucci (pourquoi ? On ne sait pas !), les ballades en décolleté dans la neige (lol!), les rares décors naturels, tous filmés en Angleterre mais bon, pour les réalisateurs, l'Angleterre, la France, c'est kif-kif (on croirait d'ailleurs que le film a été filmé à Disneyland, tant l'image aseptisée et incorrecte de la France est ridiculeusement à côté de la plaque). Passons sur les incohérences du scénario (quel pouvoir a Gaston dans la ville pour pouvoir décider du sort des villageois ? Dans quel village de France un agressif petit chefaillon en mal d’autorité imposerait sa loi sans se faire couper la tête ? D'où vient la nourriture dans le château de la Bête ? Pourquoi les loups ne rentrent pas dans le château ? Combien d'esclaves travaillent au château et combien ont été assassinés pour rébellion ? Etc.)


Les "ressorts comiques" sont consternants, qu'il s'agisse du pauvre Kevin Kline, qui essaye de son mieux de faire des blagues qu'on entend à peine, ou les "amis" imaginaires de Belle ; une armoire énervante, un chandelier en laiton, une théière hideuse, une pendule de grand-mère et un balai à chiottes en forme de perroquet. Car il s'agit bien d'amis imaginaires, tout comme le « monstre » n'est qu'un monstre imaginaire aux yeux de Belle.
Dans mon interprétation de ce « rape movie pour les enfants », les situations fantastiques sont des métaphores allégoriques, dans lesquelles Belle se réfugie grâce à son imagination pour ne pas déprimer et se pendre au bout de 5 minutes ; le bric-à-brac magique n'existe que dans sa tête, et elle ne voit "Bête" que comme un monstre tant qu'elle n'a pas accepté l'idée de vivre avec son bourreau. Une fois le lavage de cerveau terminé, tout redevient rose, comme la lobotomie à la fin de Brazil de Gilliam.


Que dire des chansons sinon que les beuglements m'ont forcé à me couvrir les oreilles pendant les parties musicales. La subtilité des compositeurs Alan Menken et Tim Rice est à peu près semblable à celle d'un rouleau compresseur qui essayerait de faire du piano. Encore une fois, venant de Disney, qui possède une longue histoire musicale de succès lyriques et poétiques largement mérités (exemple 1, exemple 2, etc), c'est choquant.


Si vous pensez que le château de Disneyland serait une bonne planque en cas d'attaque des vikings, si pour vous kitsch rime avec poésie, si les mariages arrangés vous trouvez ça cool, et que la violence faite aux femmes vous vous en tamponnez le coquillart, alors le film ne vous choquera pas, mais allez quand même vous faire soigner, au cas où.
Pour les autres, ceux dotés d'un esprit critique, préoccupés par les progrès sociaux et l'avenir de l'humanité, fuyez immédiatement ce faux film, pur produit conservateur de l'ère Trump. Comme alternative, Edward aux Mains d'Argent, avec une histoire légèrement semblable, était beaucoup mieux, et mieux adapté pour les enfants, Moana sera également un bon substitut.

fabulousrice
2
Écrit par

Créée

le 3 avr. 2017

Critique lue 445 fois

2 j'aime

3 commentaires

fabulousrice

Écrit par

Critique lue 445 fois

2
3

D'autres avis sur La Belle et la Bête

La Belle et la Bête
Behind_the_Mask
6

Remake, magie et embonpoint

Chacun a sa petite opinion sur cette série de remake live entamée par la souris aux grandes oreilles. Si vous me lisez régulièrement, vous savez ce que pense le masqué, qui a pu certainement paraître...

le 27 mars 2017

47 j'aime

8

La Belle et la Bête
Tonto
6

Bis repetita placent. Quoique...

Bon, d'habitude, je résume l'histoire, mais là, je crois que je peux vous l'épargner, vous auriez l'impression que je vous prend pour des incultes... Là voilà donc, la fameuse adaptation de La Belle...

le 23 mars 2017

41 j'aime

9

La Belle et la Bête
reastweent
5

Si c'est pas baroque, c'est du toc !

ATTENTION SPOILERS Inutile de s’encombrer d’une énième critique de la politique de la firme aux longues oreilles qui, au lieu de se consacrer à des projets neufs et inédits, semble plus que jamais...

le 24 mars 2017

28 j'aime

4

Du même critique

Avé, César !
fabulousrice
4

Et tu Brute

Revisitant le monde des studios Hollywoodiens des années 50 qu'ils avaient peint dans Barton Fink, les frères Coen racontent avec Hail, Cesar l'histoire d'un producteur et patron de studio un peu...

le 7 févr. 2016

20 j'aime

BoJack Horseman
fabulousrice
1

Horseshit

Le niveau zéro c'est créer en se croyant génial, sans aucune distance avec ce que l'on crée. J'ai eu cette impression des auteurs de la série en regardant B.H., tant la nullité extrême du scénario,...

le 25 févr. 2016

14 j'aime

18

Swiss Army Man
fabulousrice
9

Homme à tout faire

Hank et Manny sont naufragés. Perdus, abandonnés, sans grand espoir de survie, ils vont rapidement devenir amis et nouer des liens qui les aideront dans cette épreuve. Détail important : Manny...

le 6 juil. 2016

13 j'aime

3