Il y a des vieux films qui ont tendance à mal vieillir. Décors en carton pâte, acteurs surjouants, prise de son aléatoire. Revoir un vieux film au 21e siècle est parfois une épreuve. Pourtant, certains traversent le temps sans prendre une ride et sont toujours un ravissement, cinquante ou soixante ans après leur sortie. C’est le cas de Casablanca de Michael Curtiz. C’est aussi le cas de la Belle et la Bête sorti quelques années plus tard, juste après la guerre.
Ça doit être ça, un chef d’œuvre intemporel.

Tourné dans des conditions difficile à la fin de 1945, La Belle et la Bête est pourtant une réussite de tous les instants. Il est vrai que Jean Cocteau a galéré à mettre son film en images. Après la Guerre, il était difficile de trouver des stocks de pellicule, le film est donc tourné sur trois sortes différentes (pour les scènes de jour dans le village, les scènes de nuit dans le château de la Bête et le final). Et outre les difficultés à se procurer du matériel, il fallait faire avec les coupures électriques (le courant fonctionnait un jour sur deux) ainsi que tous les aléas liés à ce genre de production.

L’histoire est bien entendu celle que vous connaissez mais Cocteau est un grand fan de Perrault et il y ajoute donc des éléments faisant référencé à Cendrillon. Belle a donc deux soeurs qui lui font faire le ménage pendant qu’elles tentent de profiter de ce qui reste de leurs richesses. Leur père était en effet un riche marchand dont les bateaux ne sont jamais arrivés à bon port. Et il est donc ruiné. Le reste de l’histoire est le classique que l’on connait : il se perd dans la forêt, trouve la Bête dans son château et y dérobe une rose. Menacé de mort par la créature, il retourne néanmoins chez lui et Belle part prendre sa place. Petit à petit, elle va découvrir que sa véritable beauté est intérieure et se rapprocher de la Bête.

Au delà de la mise en scène et de la narration de Cocteau qui fonctionnent parfaitement, il faut saluer plusieurs points dont la performance de Jean Marais qui incarne à la fois la Bête (avec cinq heure de maquillage par jour), le soupirant Avenant (c’est son nom, il est renommé Gaston dans la version de Disney) et à la toute fin le Prince. Cocteau, amoureux de Marais et le voulant tout le temps à l’écran, trouve d’ailleurs une pirouette pour permettre au Prince d’avoir à la fin du film l’apparence d’Avenant. L’astuce, si elle s’avère facile, permet d’aller plus loin que l’histoire d’origine. Celle-ci évoquait la beauté intérieure, Cocteau lui pousse le bouchon évoquant la bête qui sommeille en chacun de nous. On n’en dira pas d’avantage si vous n’avez pas vu le film, mais l’happy end est aussi bienvenue que réjouissante.
L’autre point, c’est la qualité des effets spéciaux et truquages visuels, réalisés pourtant à partir de pas grand chose. Ne pouvant animer les objets eux-même, le réalisateur les met en mouvement grâce à des membres humains et certains sont très réussis. En tournant des séquences dans un sens pour les monter à l’envers, il permet des astuces visuelles impressionnantes pour un film qui a presque soixante ans. On retiendra en particulier des chandeliers tenus par des bras qui s’éclairent seuls dans le hall du château de la Bête. En réalité, les figurants tenant les bougies font un geste qui éteint les flammes. Cocteau prend la séquence dans l’autre sens et la magie opère.
Charmant de bout en bout, la Belle et la Bête est aussi le parcours d’une jeune fille qui quitte -de force, certes- le cocon familial où elle voulait rester pour devenir un papillon auprès d’une créature. Belle trouve au travers de la Bête une revanche sur la vie et un nouveau départ.

Et le final est bien magique pour les protagonistes, il l’est tout autant pour le spectateur qui prend du plaisir du début à la fin. Un classique indémodable.
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le 23 sept. 2013

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