LA BELLE ET LA MEUTE (Kaouther Ben Hania, TUN/FRA, 2017, 90min) :


En attendant la nouvelle réouverture des cinémas, et parce que malheureusement les violences perpétrées envers les femmes ne bénéficient jamais de parenthèse, coup de projecteur “at home” sur La Belle et la Meute, l’un des films les plus saisissants sur le sujet, projetés en salles ces dernières années.


Cette tranche de vie choc, nous narre la nuit cauchemardesque vécue par une jeune femme sortant avec insouciance dans les rues de la capitale tunisienne après une soirée étudiante. La réalisatrice Kaouther Ben Hania auteur de l’excellent Le Challat de Tunis (2014) s’attaque à nouveau à la société de son pays en épinglant la misogynie et les lois patriarcales obsolètes encore en vigueur malgré le printemps arabe, au sein d’une intrigue inspirée par une histoire vraie. Mais cette fois-ci, fort de ces expériences documentaires elle aborde son sujet comme un percutant thriller social sur le viol à Tunis.


La cinéaste offre une plongée labyrinthique réaliste au cœur de l’enfer culpabilisant des institutions abscons du pays, et le combat de la jeune Mariam pour laver son honneur, faire valoir ses droits et obtenir justice. Un chemin de croix oppressant, dont la caméra ne va pas cesser de suivre son héroïne malheureuse dès la séquence introductive festive jusqu’au bout de la nuit, où s’il y a une lueur d’espoir elle ne pourra provenir que d’elle-même. La réalisatrice opte judicieusement pour une vertigineuse mise en scène en 9 chapitres, par le biais d’impressionnants plans-séquences en format CinémaScope, d’une maîtrise et d’une fluidité absolument remarquables, pour nous livrer un long métrage engagé. Ce parti pris radical offre ainsi de brillantes séquences, comme de véritables fragments du réel, pour mieux nous impliquer émotionnellement dans un processus d’identification, malgré un récit elliptique parfois déstabilisant et quelques facilités scénaristiques. Néanmoins cet intelligent pamphlet rageur contre les autorités corrompues, le diktat de la domination masculine et le poids des traditions, s’inscrit parfaitement dans la mouvance du cinéma arabe, qui depuis quelques années tentent d’éveiller les consciences et de faire bouger un peu le statut de la femme, notamment en dénonçant le harcèlement sexuel dans Les Femmes du bus 678 (2010) de Mohamed Diab ou encore l’exploitation et les souffrances des prostituées à Marrakech dans Much Loved (2015) de Nabil Ayouch.


Pour incarner ce parcours du combattant, la cinéaste s’appuie sur l’incarnation intense et nuancée de la jeune comédienne Mariam Al Ferjani. Une véritable révélation artistique qui occupe quasiment chaque plan et porte littéralement le film de toute son obstination, seule contre tous. Cet brûlot particulier s’avère un témoignage singulier qui trouve un écho pluriel à l’heure où le monde est secoué depuis plusieurs années par de multiples révélations sur les comportements abjectes dont la gente féminine est principalement victimes. Un drame féministe politique et sociétal pertinent dont l’acuité a poussé le ministère de la Culture tunisien a soutenir le projet, premier signe d’une prise de conscience, en attendant l’émergence d’une véritable évolution de la femme dans cette société machiste.


Soutenez ce plaidoyer viscéral où la jeune étudiante Mariam ose élever la voix, debout face à l’humiliation, l’injustice et aux nombreuses intimidations, dans ce conte horrifique poignant : La Belle et la Meute. Militant. Salutaire. Cruel. Essentiel.

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le 10 déc. 2020

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