La Casa Lobo
7.5
La Casa Lobo

Long-métrage d'animation de Cristobal Leon et Joaquín Cociña (2018)

Le premier mot qui vient en tête en voyant le film, c'est fou. J'ai été éberlué de la première a la dernière minute, soufflé par l'inventivité constante dont fait preuve le film.
Ce genre de prouesse, dans le cinéma expérimental, est très souvent réalisé sur des courts métrages, qui font une dizaine de minute, une vingtaine au maximum.
Celui-ci en fait 80. 1h20 de créativité pure.
C'est un pur film de cinéma, exit les poncifs habituels des œuvres ronflants sur un lit de niaiseries inutiles. Il y a une trame, une histoire, des personnages, mais ils sont tellement obscurs qu'ils sont secondaires. Le vrai intérêt du film, c'est son concept, ses idées, sa réalisation. C'est de l'animation en stop motion. Filmé en plan séquence. Avec un décor qui se détruit, se forme, se reforme, se transforme, sous nos yeux sans discontinuer. La peinture, la sculpture, le cinéma et la poésie se rencontrent en un point qui, s'il devait avoir un nom, se rapprocherait sans doute du mot génie.
On nage dans un délire chaotique absolu, rien de ce qui est à l'écran n'est conçu pour rester, et pourtant, plusieurs jours après, le choc des images reste imprégné au fin fond de la rétine.
La casa lobo, sous ses airs de film étudiant réalisé avec 3 bouts de ficelle, est en réalité un bulldozer, un bulldozer d'idées, qui balaye les conventions et éclate enfin l'âme de cinéphile du spectateur.
Le film montre tout, ose tout et est hallucinant jusque dans ses moindres détails. La construction du décors, on la vit, on en voit toutes les étapes, comme si il prenait vie, soudain, animé par sa volonté propre, ce qui était une fenêtre devient un oeil, ce qui était un oeil devient Dieu. Ce qui était Dieu explose. De ce mur blanc, on commence une nouvelle scène. De cette salle vide, nait une toilette, sur cette toilette apparaît un enfant. Sur cet enfant arrivent des cafards. Panoramique. De nulle part arrive la mère, nue, assise sur une chaise. Sur la mère, apparaissent des vêtements. Panoramique de retour sur l'enfant. Les cafards ont disparus. L'enfant sourit. Panoramique. Ce qui était une toilette, devient la chambre de l'enfant. Traveling, c'est maintenant le salon.
Le son pourrait être discret, se contenter de n'être qu'une ambiance. On s'en contenterait. On aurait eu droit à une poésie sans fin, comme le disait Jodorowsky. A la place on a droit à de la terreur. De l’anxiété plutôt. Le son bascule sans cesse de la récitation de texte obscur, à de la musique concrète porté sur les cordes, à des bruits de tournage. Et ce n'est bien sur pas une erreur, ces bruits de meuble qu'on bouge, de bougies qu'on allume, de dalle qu'on renverse, vient rajouter a l'anxiété, amplifié par le visuel de qualité hasardeuse, l'image, inquiétante de base, gagnant soudain un grain caractéristique d'une certaine vague de film d'horreur.


Je pourrais ne jamais m'arrêter de tarir d'éloge sur le film, il est indubitablement une des grandes claques de cette année, sans doute de ces 3 dernières années même.
Pourtant la seule chose qu'arrive à m'évoquer le souvenir du visionnage, c'est une mélancolie triste et un stade dépressif familier.
Car oui, ce film est fou, ce film est fort, ce film est excellent. Mais ce film est orphelin. Ce film est éphémère. Demain je lancerai un autre film et ce sera le retour à la routine des films médiocres qu'on s'enfile en espérant retrouver la flamme. Et après-demain pareil. Il se pourra même qu'il s'agisse d'un remake.
Car au final, ce n'est qu'un coup de poker flamboyant, un all-in cinématographique. Une étoile filante aux formes géométriques variables s'accrochant quelques secondes à notre rétine avant de disparaitre dans l'infini.
Déjà, on voit sortir ça et là des articles, tentant d'expliquer, d'analyser, de disséquer. On peut lire des reproches, "mais ce film ne raconte rien", "une coquille vide".
Peut-être. Peut-être que le propos du film aurait mérité d'être plus fort, plus clair, plus court. Peut-être que le film se perd dans des circonvolutions inutiles. Peut-être pas, aussi, et que justement, c'est ce qui permet au film de prendre son envol au dessus de la masse, échappant ainsi aux parallèles Lynchien ou Diazien chers aux esprits trop prompts à enfermer les idées dans des cages étiquettées.
Pour moi ce film représente la quintessence d'un cinéma oublié, caché derrière des "top sortie de la semaine", des "top 10 des plus gros budgets", des "les meilleurs acteurs qui n'ont jamais gagné aux oscars" qui, omniprésent sur tous les sites traitant de cinéma, bouffent un peu plus d'espace chaque jour au cinéma véritable par leur idiotie répétitive, rabâchant vues après vues, la même liste de film claquée complétée cupidement d'ajout famélique au gré de la dithyrambie d'un public facile à cerner. Le film n'aura sans doute aucun succès, et malheureusement aucun avenir. Petite consolation : les maigres prix que lui offrent des festivals trop petit pour l'ambition qu'aurait mérité un tel coup d'éclat, permettront, croisons les doigts, au réalisateur de revenir un jour avec un projet aussi fort au bout de ses petits bras éclairés.

PizzaMegazord
8
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le 16 nov. 2018

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PizzaMegazord

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