J'ai découvert Chabrol avec La fille coupée en deux. C'est loin d'être son meilleur, m'a-t-on dit, mais j'ai de suite eu une tendresse particulière pour ce type (et pour Ludivine Sagnier) que je trouvais très juste et très intelligent dans son écriture. Il m'a touché, comme a su le faire Ozon ou Campion avec une âme différente et spécialement éloquente.


C'est le cas dans La Cérémonie. Ce film est formidablement bien conçu. Pour ceux qui ne connaissent même pas le pitch, il s'agit là d'une "bonne à tout faire" qui a un nouvel emploi dans une maison de bourgeois. Peu importe les titres, peu importe les rangs réels et la teneur de leur statut. L'important c'est l'idée de domination et de soumission. Contrairement au Journal d'une femme de chambre de Mirbeau, l'héroïne est taiseuse, elle ne souhaite persuader personne de ses injustices, n'est jamais dans le cynisme et rarement dans la rebellion. Elle se contente d'observer, de subir non sans déception ni contrariété. Elle n'est pas non plus dans la servitude béate, la caméra qui braque ses yeux voyeurs sur elle nous apprend qu'elle est avant tout la femme la plus profonde de la maison. La plus sensible, aussi. Analphabète, donc en proie de suite à un complexe d'infériorité, elle trouvera chez la postière du coin que ces bourgeois réprouvent de l'amitié, et surtout une camarade de pensée, qui éduquera son esprit jusqu'à se libérer de cette tare inhérente.


Si il y a une superbe idée dans La Cérémonie, c'est de ne pas caricaturer Bonnaire, tout comme les membres de la famille. Bonnaire ne se plaint pas, n'a pas soif d'apprendre, ne va pas révéler d'elle-même ses malheurs, n'abdique pas. Elle est complexe avant d'être complexée. Dans une frustration constante mais invisible, son secret est le dernier rempart qui existe encore entre ces gens dont les considérations s'opposent. Cette famille de coquets n'est pas en reste non plus, car mis à part le père qui est une véritable tête à claque, aucun d'entre eux n'est foncièrement cruel ou méchant. Ils sont conditionnés. Le portrait le plus ambigu est sûrement celui de Virginie Ledoyen, qui semble toujours proche de Bonnaire sans jamais pour autant se mettre à son niveau - il y a toujours une fracture, soit à cause de son caractère, soit à cause de la profession de bonne, soit à cause de l'illettrisme. Et malgré des concordances de sensibilité, la pseudo-relation craque et les mauvaises pensées se déchaînent. En définitive, cette frustration est un immense sable mouvant et l'héroïne s'y enfonce jusqu'à sa dernière et ultime liberté, jusqu'à cette cérémonie funeste où, elles aussi, auront leur mot à dire. Il n'y a pas de hasard.


Ce film est glacial. Nécessaire aussi. Isabelle Huppert est sensationnelle dans ce film.

EvyNadler

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