La Chaîne
7.3
La Chaîne

Film de Stanley Kramer (1958)

« Your white face shines out like a full moon! »

En lisant le pitch d'un tel film, on peut craindre principalement une chose : un traitement trop prévisible dans sa métaphore de l'opposition entre Blancs et Noirs. Mais ce serait sans compter sur la surprenante écriture de The Defiant Ones (titre original) et l'excellent duo formé par Tony Curtis et Sidney Poitier qui prouve, très vite, qu'il n'en est rien en laissant pleinement s'exprimer l'originalité et la subtilité du scénario.


Scénario qui tient en une phrase (un Blanc et un Noir prisonniers enchaînés l'un à l'autre sont en fuite dans l'Amérique rurale des États du Sud) mais qui s'avèrera être d'une étonnante efficacité sur au moins deux tableaux.


D'une part, le clivage Blanc / Noir est très rapidement dépassé. Face à l'épreuve d'une fuite dans une telle configuration, les deux buddies réalisent vite qu'ils ont tout intérêt à coopérer. Se nourrir et fuir la police qui est à leurs trousses nécessite de fait une certaine entente et concourt à des discussions aussi imposées que fructueuses. Cette collaboration naissante se voit également renforcée de manière plutôt originale par une solidarité inattendue, puisqu'ils prendront conscience d'un dénominateur commun supplémentaire (au-delà de leur condition de prisonniers en fuite) : Noir comme Blanc, ils n'étaient que des employés de seconde zone. Le premier comme homme de ménage condamné à rentrer dans les hôtels par la porte de derrière, et le second comme voiturier devenu esclave de son pourboire et de formules de politesse comme "Thank you Sir" devenues obligatoires.
Le film casse d'ailleurs cette opposition raciale très vite en montrant les deux compagnons dans une posture vraiment très étonnante (imaginons un instant la scène en 1958 !) : assoupis au terme d'une dure journée à courir dans la nature, on retrouve Poitier dans les bras de Curtis, sous un arbre les abritant de la pluie, tous deux profondément endormis. Une image doublement "choc" (deux hommes, deux couleurs de peau) du meilleur effet.


D'autre part, The Defiant Ones prend le soin de cultiver une certaine diversité de genre, en alternant les séquences centrées sur les deux prisonniers et celles consacrées aux recherches effectuées par la police, avec des officiers uniformément Blancs mais finalement bien différents dans leurs psychologies et leurs méthodes de travail. Le leitmotiv musical (tout comme celui lié aux chiens) avec ces morceaux rock 'n' roll crachés par un transistor, agaçant les uns et ravissant les autres, confère à ces séquences une dimension définitivement comique.
Mieux, le "truc" du scénario (qui sera récompensé par un Oscar en 1959 [merci au VilCoyote qui sévit dans les commentaires], en dépit des foudres du maccarthysme qui s'étaient abattues sur leurs auteurs, Nedrick Young et Harold Jacob Smith), le fait que deux hommes a priori si différents se retrouvent enchaînés et en cavale, ne se repose pas sur son statut de "bonne idée" et enchaîne les péripéties vraiment réussies : sortir d'un puits d'argile sous une pluie battante, se bastonner d'une main suite à un différend, ou encore se sortir d'un village guère plus accueillant qu'une prison. Toute ces aventures pour terminer sur une réponse pleine d'espoir et de tendresse à la question essentielle qui sous-tend le film : que faire une fois la chaîne brisée ? Maintenant que l'on a appris à vivre ensemble et à s'apprécier, on continue sur cette voie, bien entendu.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/La-Chaine-de-Stanley-Kramer-1958


[Ancien avis brut #32]

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mille mercis, Top films 1958, Pépites méconnues - Films, La condition de l'homme emprisonné et Avis bruts ébruités

Créée

le 17 janv. 2016

Critique lue 1.5K fois

22 j'aime

8 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

22
8

D'autres avis sur La Chaîne

La Chaîne
Morrinson
7

« Your white face shines out like a full moon! »

En lisant le pitch d'un tel film, on peut craindre principalement une chose : un traitement trop prévisible dans sa métaphore de l'opposition entre Blancs et Noirs. Mais ce serait sans compter sur la...

le 17 janv. 2016

22 j'aime

8

La Chaîne
ludovic-50
8

Chaîne antiracisme

Noah et John sont deux prisonniers qui vont être transférés vers une nouvelle prison mais en chemin leur fourgon est victime d'un accident. Profitant de cette situation, il décide de s'évader mais...

le 7 déc. 2019

9 j'aime

La Chaîne
JeanG55
8

The Defiant Ones

Stanley Kramer fut un cinéaste (réalisateur et producteur) indépendant ce qui lui permit d'aborder des sujets qui fâchent comme le racisme dans "Devine qui vient diner" (1967) et "La chaine" (1958)...

le 22 août 2022

8 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11