« L’agrément de la chasse a bien des désagréments » nous dit un proverbe danois. LA CHASSE de Vinterberg puise quant à elle toute la force de son agrément dans le désagrément de sa situation. Car la rumeur, elle, ne laisse aucune chance à sa proie. Elle est cette vérité qui se promène comme un mensonge. Elle est cet arbre qui ne finit jamais de pousser et dont les racines s’implantent toujours plus profondément dans les cœurs et les âmes. Se propageant comme un Gremlins dans un bain à remous, la rumeur chasse l’homme plus qu’elle ne cherche la vérité. Une fois sur toutes les lèvres, elle s'accroche pour ne plus jamais nous quitter.


Dans LA CHASSE, Thomas Vinterberg appuie là où ça fait mal : en élaborant l’expérience d’une accusation mensongère de pédophilie, il plonge une communauté dans un phénomène de destruction collective. La simple idée dérange et les doutes nous assaillent : le Mal est fait. Œuvre de sociologie autant que drame haletant, LA CHASSE opère une variation autour du faux-coupable et pousse ainsi son innocent Mads Mikkelsen (qui reçut le Prix d’interprétation masculine à Cannes en cette année 2012) à éprouver violemment cette situation d’injustice. Seul contre tous, sa seule vérité comme appui pour ne pas vaciller : l’empathie s’installe rapidement avant de nous faire déchanter. Car rien ne nous prépare tout à fait à cette CHASSE ; un voyage au bout de l’enfer où ce n’est plus le cerf que l’on chasse mais bien nos nerfs. Pris au piège, le spectateur éprouve sa passivité comme jamais et n’a qu’une seule envie : briser ce conditionnement et crier l’innocence là où la culpabilité est de partout. La rage au ventre, nos larmes ne peuvent couler.


Tout l’intérêt revient alors à décomposer cette mécanique de survie morale où le cœur balaie toujours la raison et où le doute est le pire des poisons. LA CHASSE en vient ainsi à questionner les barrières morales – fragiles – qui construisent une société. Le revoir, c’est aussi prendre conscience du caractère dévastateur d’un sourire d’enfant ou d’une beuverie entre amis. Puisque dès l’ouverture, le spectateur sent l’implosion pointer le bout de son nez ; le vivre ensemble étant rendu impossible par le venin de la rumeur, létal. Entre influence d’une contrevérité & enfer des esprits gangrenés, LA CHASSE revêt les atours d’une tragédie universelle sur le jugement social. Le Furie de Fritz Lang avait déjà exploité, non sans une certaine maestria, le filon de cette humanité condamnée par elle-même. Chasse aux sorcières modernisée ? Ici, l’innocent prend feu sur un bûcher bien plus insidieux encore. Et la fatalité y est pour beaucoup. Derrière la grosseur de son trait (et cette tendance à la caricature), LA CHASSE tombe parfois dans la facilité et le manichéisme en acculant son personnage dans une spirale de « mise à mort » que l’on sait inévitable. Néanmoins, Vinterberg arrive à rester juste en toute circonstance dans une harmonie entre le pudique et la fureur.


Jusqu’à ce dernier acte terriblement noir : à l’occasion d’une partie de chasse « fédératrice », finir à contre-jour sur une silhouette qui rassemble toute la haine et l'impossible retour à la vie de l’innocent Mads. S’entretuer, peut-être est-ce là le but final de cette chasse ? Étouffant émotionnellement, LA CHASSE se veut être une épreuve bien calculée ; un véritable et littéral chemin de croix où Lucas évoluera en figure de martyr. L'abus contre celui qui ne peut se défendre ; non l'enfant (et sa parole sacralisée) mais bien l'autre innocent, celui que l'on accuse à tort d'un acte que personne ne peut prouver mais que tout le monde condamne. Car à quoi bon être des hommes quand nous ne pouvons être humains ? Vinterberg inverse alors les mécanismes à l’œuvre dans son Festen pour conférer à sa CHASSE une saveur d’aveu impossible, de silence innocent et de parole dénuée de raison face à un bruit qui court plus vite que la vérité. La rumeur dévisage et les regards sont corrompus, à jamais. Et c'est peut-être là le plus grand drame du monde. Car quand la rumeur s’est propagée, la Chasse ne peut s’arrêter.


Critique à lire également sur mon Blog
Extrait dans l'article "Les 100 films à retenir des années 2010"

blacktide

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