John Ford, c’est une carrière cinématographique d’au moins cinquante ans, et pas moins de 142 films – 89 si l’on excepte les 53 qui sont désormais considérés comme perdus. Corollaire, le choix est vaste lorsque l’on a encore rien vu du bonhomme. Après avoir vu (et adoré) « L’Homme tranquille », j’ai choisi de voir (et espérer adorer) l’un de ses westerns : « Stagecoach ». Ce film sort en 1939, soit 13 ans après le dernier western de Ford. La grosse différence est donc le passage, entre temps, au parlant. Il tourne pour la première fois dans les décors majestueux du parc national de Monument Valley, ce qui, outre la preuve d’un goût certain, lance une tendance.
Ma première interrogation (et, incidemment, l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce film en particulier) est satisfaite dès le début du film : "stagecoach" signifie "diligence".
Une diligence, donc, arrive en ville de Tonto, Arizona, et ses passagers s’extraient de l’exiguïté du véhicule pour un bref arrêt. Au moment de repartir, à destination de Lordsburg, Nouveau-Mexique, un lieutenant de la cavalerie informe l’équipage du danger du voyage : les Apaches de Geronimo sont sur le sentier de la guerre. Un bataillon escortera la diligence – au moins sur une partie du chemin.
Prévenus des risques encourus, les passagers décident néanmoins de poursuivre leur route. Rien ne les retient en effet à Tonto.
Le voyage commence alors que la diligence, tractée par un attelage de six chevaux, file à vive allures entre les monolithes gargantuesques de Monument Valley (un spectateur pointilleux, pédant ou pénible, voire cumulant les trois, pourra relever l’absurdité d’un tel détour).
C’est l’occasion de présenter nos personnages ; outre son conducteur un peu enveloppé et jovial, et le marshal qui l’escorte, la diligence transporte six passagers : un brave vendeur d’alcool, un brave docteur alcoolique, une femme plutôt jolie et très distinguée, une femme plutôt jolie et un peu moins distinguée, un banquier assez louche (et gros), et un joueur assez louche (mais maigre comme un clou).
Ils sont assez vite rejoints par un fugitif au grand cœur.
Cette joyeuse bande s’entasse dans l’espace restreint du véhicule, et s’apprête alors à vivre de belles aventures dans l’ouest américain.
Le western de Ford est avant tout un road-movie, et nous suivons le périple de cette diligence et de ses passagers à travers de magnifiques paysages que le cinéaste a su capturer à la perfection. C’est quelque chose qui saute aux yeux d’emblée : la photographie, un noir et blanc délicat, est somptueuse, et les environnements choisis par Ford sont superbes (bon, à tourner dans Monument Valley, il n’y a pas tellement de risques non plus).
Le film est également très équilibré, entre scènes de voyage et scènes de repos, en intérieurs. Pour bien marquer la différence, Ford dotera tous ses décors de studio de plafonds – rarissime à l’époque – ce qui accentue le côté ‘boîte’ et l’enfermement, en opposition à ses extérieurs presqu’infinis. Elles sont toutes très réussies, que l’on assiste à une joute verbale amicale entre le cocher et son gardien, à un repas dans un relai routier, à une anecdote de la guerre de Sécession, c’est un régal de tous les instants.
Cela dit, le véritable point fort de « Stagecoach », c’est de se consacrer à ses personnages. Ils sont tous variés, richement écrits et détaillés, et superbement interprétés. Du docteur alcoolique, joué par un Thomas Mitchell en état de grâce (logiquement récompensé par un Oscar) à la prostituée au grand cœur, en passant par le petit vendeur d’alcool et ce desperado plein de charme, et j’en passe…
Ma préférence va peut-être à John Carradine, avec sa figure si particulière, qui campe un joueur professionnel, au passé énigmatique et à la personnalité complexe. J’aurais cependant du mal à me prononcer de manière définitive, tant tous les personnages sont aussi attachants et intrigants les uns que les autres.
« Stagecoach », c’est aussi une merveille de réalisation. On pourrait penser à juste titre que filmer une diligence pendant une heure trente s’avèrerait un peu répétitif à la longue, mais Ford réussit malgré tout à varier les plans et à toujours proposer quelque chose de différent. Les scènes d’action sont super propres et dynamiques, et pour 1939 je trouve ça assez exceptionnel.
Et puis, tout fan de Lucky Luke qui se respecte trouvera un bonheur enfantin à retrouver dans ce film tellement de trucs repris par Morris. Les similitudes avec l’album « La Diligence » sont si nombreuses, du cocher – une copie conforme du brave Andy Levine – aux passagers – le même genre de bande de gais lurons hétéroclite – que je m’attendais presque à voir surgir Black Bart à un moment ou un autre…
Il y a tellement de choses à dire et tellement de qualités à trouver à ce film que je pourrai poursuivre encore sur pas mal de paragraphes… « Stagecoach » fut nommé 9e meilleur western par l’American Film Institute, et, Orson Welles déclara l’avoir visionné 40 fois pour préparer le tournage de « Citizen Kane ». Si mon avis, de cinéphile encore jeune et très inculte ne vous convainc pas (je ne vous jette pas la pierre), il est légitime de penser que le bon Orson et l’AFI, qui sont unanimes, savent de quoi ils parlent.