Oui c'est du western, oui c'est en noir et blanc, oui les indiens attaquent, oui tout ce que vous voulez, mais c'est surtout et avant tout un film de John Ford. Et qui dit ce (par encore trop) vieux monsieur borgne, dit une immense humanité, un affection et une chaleur à nulle pareille envers la plupart de ses personnages, affection et chaleur qui sont si fortes que les péripéties qui entourent le cœur de son cinéma ne sont finalement qu'anecdotiques et essentielles à la fois.

Le prétexte est à la fois simple et génial: entasser six personnes (plus les deux de l'extérieur) aussi différentes qu'il est possible dans une caravane et les forcer à traverser un paysage magnifique et hostile.

Mais au-delà des rapprochements inévitables que va provoquer l'adversité et que l'on retrouve souvent par ailleurs, le génie de Ford est bien de tordre le cou à la bienséance, à la morale et aux bigoteries dont on sent que les choses n'ont pas suffisamment changé entre le temps décrit (le milieu du 19eme siècle) et l'époque du film (1939).
Il n'est donc pas étonnant de voir que les deux personnages principaux, à qui il arrive l'aventure la plus touchante, sont une prostituée rejetée par les dames patronnesses de son patelin de bouseux et un hors-la-loi à qui le shérif fera passer très vite les menottes. Ford se désintéresse des positions sociales et des passés tortueux qui peuvent accabler les uns ou les autres, seule l'humanité qui anime ces êtres l'intéresse.
Le troisième personnage essentiel de l'aventure n'est autre qu'un alcoolique patenté qui fût en son temps docteur. On ne s'appesantit à aucun moment sur les raisons de sa dépendance, ni sur une quelconque recherche de "rédemption". Le shérif lui offrira un coup à boire en conclusion de cette balade épique.

Derrière ce trio magnifique (une pute, un poivrot, un futur condamné), chaque passager possède ses particularités qui le rende attachant: le représentant en whisky que tout le monde prend pour un révérend et dont personne ne retient le nom, la femme d'officier un poil guindée à qui l'enfantement rendra un visage et des réactions humaines, et la figure de gentleman, joueur invétéré, mais grande âme malgré les circonstances, puisque suivant son impulsion initiale jusqu'au bout.
Finalement, le seul bonhomme réellement antipathique et désagréable est un banquier filou (dans la bouche duquel nous entendrons un magnifique "ce qui est bon pour la banque est bon pour le pays", résonant parfaitement dix ans après la crise de 29 et toujours de manière aussi vibrante aujourd'hui) dont le seul trait agréable est qu'une des motivations à son départ précipité dans la diligence est de fuir un conglomérat revêche de dames de vertu, invitées par sa femme.

Autour de ces six figures, le shérif et le conducteur de la diligence contribuent pleinement plaisir de l'ensemble.
Le premier parce que, comme dans tous les bons films et/ou western, infléchit sa décision de se conformer strictement à la loi à la demande de son entourage, et le second par une particularité magnifique: une voix qui mue, et lui impose parfois de reprendre ses annonces. Et ne pas être très écouté par ailleurs.

Tout ceci n'est qu'un aperçu, les petits bonheurs (marque de fabrique de mssieur Ford) pullulent (voulez-vous entendre le patron d'étape comparer les mérites de sa femme et ceux de sa jument ?), et la forme rejoint le fond. Certaines images sont uniques, comme l'apparition de John Wayne à l'écran, dans un mouvement de caméra resté dans l'histoire du cinéma.

Oui c'est du western, oui c'est en noir et blanc, oui les indiens attaquent, oui tout ce que vous voulez, mais c'est surtout et avant tout un film de John Ford.
Alors si vous ne l'avez pas encore fait, précipitez-vous à sa découverte avec diligence.
guyness

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