Bouh ! Les méchants riches ! Oh ! Les gentils pauvres !

Même s'il commence à dater sérieusement, le souvenir que j'ai du Déclin de l'empire américain et des Invasions barbares est celui de scènes brillamment dialoguées, essentiellement centrées sur les relations sentimentales et sexuelles. Rien de tel ici, cette Chute n'est nullement une suite des deux premiers opus de cette fausse trilogie. Dans un improbable mélange de Ken Loach et de Steven Soderbergh, Denys Arcand entend dénoncer le néolibéralisme débridé tout en nous captivant avec une histoire d'arnaque.


Le film partait pourtant sur la base des deux premiers, avec ce dialogue savoureux entre Pierre-Paul et sa copine. Du niveau d'un Woody Allen, PP expliquant à sa douce qu'il est trop intelligent pour réussir. La preuve, tous les grands de ce monde sont des idiots - Sarkozy est mis dans le lot, mais la palme va bien sûr à Donald Trump. Quant aux esprits supérieurs, de Dostoïevski à Sartre, ils se sont tous révélés inadaptés à la réalité. Convainquant, mais tout ça n'explique pas pourquoi PP a toujours été incapable de dire "je t'aime" à sa copine en plusieurs années. Le voilà taclé, et plaqué.


Comment ces belles théories tiendront-elles si un gros paquet d'argent venait à échoir à PP ? C'eût pu faire une comédie savoureuse dans les mains d'un Capra ou d'un Wilder. Hélas, Denys Arcand est frappé de la pire malédiction qui soit : les bons sentiments. Son PP est quelqu'un de "bon", selon la volonté affichée du réalisateur, la preuve, il officie dans une association caritative. Et il ne manque jamais de glisser une pièce à qui fait la manche. Comme chez Ken Loach, les riches sont les méchants et les pauvres les gentils. Non content d'être gentil, d'ailleurs, PP contamine son entourage, jusqu'aux flics qui vont finir par servir des repas aux sans-abris. Quant à la superficielle call girl des débuts, elle ira jusqu'à faire cadeau d'un appartement à l'un des potes de PP dont c'était le rêve. Trop beau.


C'est dans sa chute que La Chute chute. Car la partie film-de-hold-up-qui-tourne-mal est bien agencée, se suit avec plaisir. Passons rapidement sur les invraisemblances : le camion qui n'est pas fouillé juste après le casse, les truands qui ne s'en prennent même pas à notre trio, le délinquant qui se remet miraculeusement, en quelques jours, de ses deux épaules démises lors d'une scène de torture, les flics qui ne retrouvent pas les ordinateurs lorsqu'ils arrivent sur place à la fin et qui ne fouillent pas les protagonistes de notre petite bande alors que chacun porte une liasse de billets... Admettons qu'il s'agisse d'une fable, et reconnaissons qu'elle est menée tambour battant. Jusqu'à la déferlante de bons sentiments finale, j'ai pris plutôt du plaisir à cette mécanique.


Certes, même sur l'aspect thriller il faut se montrer indulgent pour être élogieux, car Arcand semble avoir décidé de cocher scrupuleusement la liste des poncifs du genre. Inventaire :
- le docteur en philosophie qui cite un auteur à chaque fois qu'il avance une idée (passablement ridicule non ?) et dont l'appartement (bien vaste pour quelqu'un obligé de faire des livraisons, non ?) contient plus de livres qu'il ne peut avoir eu matériellement le temps d'en lire à 36 ans (surtout qu'on ne le voit jamais en ouvrir un) ;
- la call girl de luxe (Maripier Morin, plus belle encore que Clotilde Courau auquel son sourire ravageur fait penser) qui a eu une enfance misérable, qui tombe amoureuse d'un client et se révèle pleine de ressources dans l'adversité ;
- le repris de justice forcément loyal, au départ un peu ours mais qui s'avère être un type en or, d'ailleurs tiens c'est simple, il fait faire ses devoirs à sa fille de 10 ans ;
- le conseiller financier véreux (Pierre Curzi, aux faux airs de d'Ormesson), adepte de très jeunes femmes façon Strauss-Kahn, et bien sûr inattaquable vu ses nombreuses relations dans les cercles de pouvoir ;
- le duo de flics - couchant ensemble à l'occasion - qui arrive toujours trop tard et se fait balader ;
- les mafieux qui cherchent à se doubler les uns les autres et emploient les méthodes expéditives qui vont bien.


Les acteurs ne sont pas en cause, tous très justes. Cette galerie de clichés eût pu être une force du film si Arcand l'avait tiré vers la satire. Rien de tel ici, la morale finale étant là pour ôter tout doute à ce sujet. Si la romance à la Pretty Woman et le brûlot politique à la Land of Freedom sont sans doute le pire de cet opus tardif du Canadien, il surprend de temps en temps avec quelques pépites : lorsque les deux tourtereaux se promènent après le déjeuner au restau, PP commence une phrase qui s'achève dans le plan suivant alors que la nuit est tombée. Belle idée. Peu de temps après, les deux se sont assis sur un banc et les lumières de la ville en arrière-plan semblent être des brasiers allumés. Mentionnons aussi le couple qui se fait racheter son compte à la fin, assez croquignolet.


Peu de choses. Quelques perles dans un océan de poncifs, pas de quoi ravir le cinéphile. Décidément, c'est pas beau de vieillir : Woody Allen, Polanski, Scorsese, Cronenberg, Bertrand Blier, Jaoui/Bacri, Delépine/Kerviern... la liste s'allonge des auteurs qui s'affadissent avec le temps. Pour eux, la chute en tout cas est avérée.

Jduvi
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le 13 févr. 2021

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Jduvi

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