Au fil du temps, Vittorio De Sica a su, à juste titre, se construire une réputation d'icône du néoréalisme italien avec des titres forts et sans concession. Avec La Ciociara sorti dans les dernières années du genre et adapté du roman éponyme tristement basé sur des faits réels, il revient sur le calvaire de la population italienne durant la seconde Guerre Mondiale. Rappelons que l'Italie fut l'un de ces pays saignés à blanc par l'idéologie fasciste et in fine par son entrée dans une guerre qu'elle ne parviendra jamais à gérer, la faute à un enseignement militaire assez primaire. Loin des batailles sans merci, De Sica va filmer le quotidien de ces Messieurs et Mesdames tout le monde qui subissent les conséquences de cette boucherie. Qu'ils aient adhérés au fascisme ou non, cela ne fait aucune différence sur leur sort. Beaucoup n'ont pas voulu de cette guerre, même certains fascistes. A travers les yeux de Cesira, c'est le chemin de croix d'un bien grand nombre d'italiens qui fuiront Rome et les grandes villes pour chercher refuge à la campagne. L'exode de tous ces condamnés ne se fait pas dans le soulagement mais dans la crainte d'être fusillé ou de tomber sur les balles ennemies.
On peut diviser très nettement La Ciociara en deux parties distinctes, chacune induisant un sentiment propre chez le cinéphile. La première partie est la fuite, l'arrivée et la vie en campagne dans une petite communauté soudée vivant dans la peur. Cesira, en compagnie de sa fille Rosetta qui est sa seule réelle famille, n'est pas une idéaliste. C'est une révoltée contre la situation actuelle, une grande gueule comme on dit, qui n'hésite pas à défier les soldats et à crier à la fin la plus rapide de la guerre. Ses croyances politiques sont floues. De Sica élude intelligemment ça, au point que l'on se demande si finalement elle était une fasciste ou non. Mais de toute façon, est-ce si important que ça ? En Michele elle goûtera à l'amour, cette chose qu'elle avait mis de côté. Dans un tel climat de mort et de désolation, c'est une forme de survie pour ne pas être écrasé psychologiquement. Ceci dit, il n'y aura pas de place pour la romance puisque vient alors la deuxième partie qui verse alors dans l'horreur psychologique, les abominables conséquences de la guerre. Je vous ferai alors le plaisir de ne rien en dire, comme ça votre curiosité aura l'herbe coupée sous le pied.
De Sica nous retourne au sens propre pour nous faire ressentir l'effroi d'une mère dont la propre survie est occultée par la survie de sa seule enfant en priorité. Un sentiment de sacrifice poignant. La Ciociara en vient à baigner dans l'immoralité et dans la funeste tragédie sans ne verser à aucun moment dans la surenchère ni l'exposition des corps malmenés. Avec l'intelligence des ellipses et les plans de la caméra, il retransmet tout autant l'horreur du conflit. La Ciociara est un film vrai et est aussi grandement aidé par la prestation sensationnelle d'une Sophia Loren dans un rôle extrêmement fort, suivi d'Eleonora Brown criante de vérité. Jean-Paul Belmondo restera un peu en retrait mais on peut déjà ressentir l'ouverture du bal à "Léon Morin, prêtre" avec son rôle d'intellectuel qui n'a jamais renié sa passion de la théologie.
Ainsi donc, La Ciociara n'est pas seulement l'un des sommets de son réalisateur mais aussi l'une des pierres angulaires du néoréalisme qui doit beaucoup à son second chapitre qui n'a aucunement perdu de sa puissance de frappe. Une oeuvre puissante et éducative, d'une simplicité formelle qui en fait pourtant sa plus grande force. Tout simplement un immanquable !