« Les collectionneurs qui collectionnent pour collectionner » (Blaise Cendrars, Bourlinguer)

Les pieds dans l’eau, une silhouette remonte la plage. Le bruit de ses pas répond à celui des vagues alors que son portrait corporel se dessine. Omoplates et clavicules saillent sous une peau dorée. Par ce prologue on devine : ce corps sera objet de désir, Haydée sera l’objet du film.


L’histoire de ce trio, c’est en fait celle d’une incompréhension. Daniel et Adrien, isolés dans la villa de leur ami Rodolphe, se sont fixés un but, celui de parvenir au « rien absolu ». Leur recherche du vide se traduit différemment : Adrien lit ce qui lui tombe sous la main pour s’empêcher de penser par lui-même, mais pour Daniel lire c’est encore faire quelque chose.
La présence d’Haydée trouble leur projet, sa légèreté les intrigue. Ils cherchent un sens à son sourire sans pouvoir admettre qu’il n’en a pas. C’est sans doute là leur échec, ils ne peuvent concevoir qu’Haydée puisse agir sans raison, que ses actions ne soient guidées par aucun dessein. Il leur faut lui trouver de la cohérence, parce que si tel n’est pas le cas elle devient impénétrable par sa simplicité. Si Haydée est une collectionneuse, alors son apparent « manque de tenue » est légitimé. La collection confère à chaque objet qui la constitue une valeur, une place, un intérêt particulier. Ainsi, l’absurdité trouve logique et donne à Adrien et Daniel l’illusion de cerner Haydée.


"J’ai trouvé la définition de Haydée : c’est une collectionneuse. Haydée, si tu couches à droite et à gauche comme ça, sans préméditation, tu es l’échelon le plus bas de l’espèce, l’exécrable ingénue. Maintenant, si tu collectionnes d’une façon suivie, avec obstination, bref si c’est un complot, les choses changent du tout au tout."


Mais lorsque se confrontent « la collectionneuse » et un collectionneur d’antiquités, on comprend qu’Haydée n’en est pas une parce qu’elle ne cherche ni ne choisit. Rien ne l’empêche de coucher chez un homme à la demande d’Adrien, lui ou un autre ne fait aucune différence.


À l’aube, en voiture, les cheveux aux vents, Adrien comprend. Une fois Haydée laissée derrière lui, seul, tout est propice au rien. Pourtant, il n’y parvient toujours pas.

AniaGirard
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le 3 déc. 2020

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