La Colline aux coquelicots
6.9
La Colline aux coquelicots

Long-métrage d'animation de Gorō Miyazaki (2011)

J'ai mis (très) longtemps avant d'oser lancer ce film. Pour plusieurs raisons, plus ou moins bonnes, mais surtout deux principales.
La première, toute personnelle, est que j'ai tellement longtemps associé Ghibli à la poésie fantastique de Miyazaki père, qu'il m'était difficile, voire douloureux, de voir un film ancré dans le réel et pourtant tellement emprunt de cette patte qui m'avait tant fait rêver au gré des décennies. (et Le Vent se Lève, que j'ai vu il y a maintenant un bout de temps, avait confirmé ce biais injuste, et pourtant déterminant à mes yeux).
La seconde, plus objective, tenait plus du manque de confiance que j'avais envers les qualités de réalisateur de Miyazaki fils. Goro, pour ses Contes de Terremer, s'était malheureusement vautré dans du sous-Miyazaki, tentant d'invoquer les tropes de son papa sans réussir à leur donner vie. Le résultat est beau (sans être foudroyant), mais décousu, sans élan épique, une sorte de patchwork sans âme qui laissait vraiment craindre le pire pour la suite. Bref, Goro Miyazaki n'était pas son père, indéniablement.


Et peut-être fallait-il passer par cet échec, par cette quasi trahison qui revenait a posteriori à tuer le père (pour faire plaisir aux freudiens), pour que Miyazaki-fils puisse s'affranchir de ses pseudo-obligations vis-à-vis de l'oeuvre de son père, et trouver sa propre voix.


Et c'est paradoxalement une voix qui fait écho à celle de son père dans une certaine mesure, une relation au temps, à la nostalgie. Il peut créer un personnage de femme forte, icône chère à son père, et se l'approprier, la faire évoluer dans son monde, son imaginaire. La rupture est consommée, les convergences peuvent désormais s'affirmer de façon saine entre père et fils, voire les clins d'oeils (le grand nettoyage de la bâtisse en ruine évoque autant la remise en état de la maison dans Totoro que les bains du Voyage de Chihiro, entre autres).


Quid du film, du coup ?
On est au final plus proche du très bon Quand tu Tends l'Oreille que du reste des productions du studio, et la force de Goro Miyazaki est de n'avoir jamais cédé à la tentation fantastique durant ce long métrage.
Tout est centré autour de deux axes : la préservation d'un antique bâtiment abritant les clubs dans un lycée alors que le proviseur et son comité veulent le raser, et une histoire d'amour plus compliquée et plus osée qu'il n'y paraît.


Les thèmes sont matures, le rythme est impeccable, et l'histoire se passe parfaitement de surnaturel, les moments de grâce propre au studio se trouvant dans la qualité de l'animation, évidemment, mais surtout dans ce fourmillement de détails lors de la découverte du magnifique batiment latin qui n'a rien à envier au village de Nausicaa ou aux décors d'Arrietty (principal, sinon seul point fort de ce semi échec).


Goro trouve sa voix, on sent le récit habité du souffle qui manquait à son dernier film et ça n'en rend que plus cruel le relatif échec commercial (à l'aune des productions du studio) de la Colline aux Coquelicots (si mes souvenirs sont bons), car il partait avec deux balles dans le pied : une tirée par son père, qui l'avait, à l'époque, plus ou moins officieusement renié artistiquement, l'autre par lui-même, à cause des Contes de Terremer (commande du père ou volonté du fils de marcher dans les pas de celui-ci ?). Et si la reconnaissance critique était plus ou moins au rendez-vous, le public échaudé n'a pas passé le cap.


Je suis content d'avoir dépassé mes a prioris pour lui donner sa chance, car l'oeuvre est mature, belle, singulière, audacieuse, et réussit à affirmer une voix tout en respectant les codes du studio Ghibli.
Si Goro n'est pas l'héritier de son père, il n'en reste pas moins un réalisateur qui a des choses à dire... Ce qui fait d'autant plus regretter la fin de Ghibli.

toma_uberwenig
8
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le 10 mars 2020

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toma Uberwenig

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