Scènes de la vie conjugale en communauté...

LA COMMUNAUTÉ (14,1) (Thomas Vinterberg, DAN, 2016, 111min) :


Cette chronique douce-amère soixante-huitarde suit le parcours familial d’un couple dont l’homme est architecte et la femme présentatrice de journaux télévisés venant d’hériter d’une grande maison de 450m2 pour y vivre avec leur jeune fille. Trouvant la demeure trop vaste pour trois, ils décident de recruter des colocataires pour vivre dans l’esprit d’une communauté des années 70 dans la campagne de Copenhague. Le réalisateur danois Thomas Vinterberg, cofondateur du mouvement « Dogme 95 » (visant à une sobriété formelle et aucune utilisation d’artifices), a été découvert en 1998 avec le choc Festen récompensé par le Prix du Jury à Cannes. Depuis chacun de ses films attirent l’attention mais connaissent des fortunes diverses. Le cinéaste retrouve le succès par le biais du pertinent La Chasse en 2012, récompensé du Prix d’interprétation à Cannes avec Mads Mikkelsen et revient cette année avec ce long métrage au titre évocateur La Communauté très inspiré de son enfance au Danemark. Sa mise en scène a évolué depuis Festen et même si l’on retrouve une caméra toujours en mouvement, comme pour mieux nous conter le souffle de la vie toujours muant sous les peaux, son âme semble plus apaisée et l’image est devenue moins abrupte et la caméra moins aride et cruelle pour les personnages qu’elle enveloppe. Tiré de son expérience personnelle, ce long métrage nous dépeint les utopies des années 70 qui espéraient des lendemains qui chantent alors que les balles et les bombes s’apprêtaient à siffler au Vietnam, par le biais de ce couple aimant de classes supérieures optant librement pour le choix du vivre ensemble communautaire et laisser libre court à d’éventuelles aventures pour échapper à la poussière du quotidien conjugal. Après des scènes de castings savoureuses une forme d’insouciance règne et se reflète dans les premières séquences du film, dignes d’une comédie légère où s'installe la bonne humeur, l’ambiance fraternelle où les règles sont établies par des votes à mains levées démocratiques et une belle entente anticonformiste semble se forger durablement au sein de cette maison. Cette entente se scelle par un bain communautaire où tous les convives se mettent entièrement nus. Vinterberg démontre que la femme du couple semble plus encline à cette légèreté alors que son mari moins à l'aise. Mais l’apparition d’un rebondissement sentimental va inverser le rapport entre Erik et sa femme Anna, et entraîne une narration protéiforme du long métrage qui dévie vers le drame conjugal en semant le doute autour de l’idée du couple et du "vivre ensemble". Le cinéaste décide de nous montrer les fêlures intimes plus qu’une vision politique de l’état d’esprit communautaire, on peut le regretter mais l’introspection des tourments conjugaux offre l’opportunité au cinéaste de dresser un subtil portrait de femme en lorgnant sur les œuvres d’Ingmar Bergman et de John Cassavetes. La caméra au plus près des blessures filme la fin d’un couple, les blessures à l’âme, la volonté de continuer d’aimer malgré tout, la jalousie, puis la chute à force de ne plus être désiré ni touché par l’homme qu’on aime. Scrutant avec tendresse les moindres soubresauts et les contradictions de ses personnages, l’auteur croque le drame et ses répercussions sur la communauté par des saynètes tour à tour ironiques et tendres où une certaine mélancolie des illusions perdues se déchirent parfois sous les cris remplaçant les rires. On peut regretter certaines scènes un peu maladroites alourdissant de manière moins subtiles le fond de l’intrigue, mais par le biais du personnage très bien dessiné de la fille du couple en plein éveil identitaire et amoureux, son âpre sagacité apporte un angle de point de vue pertinent envers cette étude de mœurs. Une peinture sociale d’une époque illustrée assez classiquement, mais non sans trait humoristique, par une photographie aux couleurs surannées, une mode vestimentaire appropriée et une bande sonore assez rock très représentatifs de l’état d’esprit seventies. La direction d’acteurs reste le point fort du cinéaste et cela se retrouve dans ce nouvel opus, notamment avec la prestation très émouvante de la sensationnelle Trine Dyrholm (Festen, Revenge, Royal affair) récompensée justement par l’Ours d’Argent de la Meilleure actrice à Berlin en 2016. Le reste de la troupe se montre à son avantage notamment avec le charismatique Ulrich Thomsen (Festen, Brothers, Revenge) et l’excellente débutante Martha Sofie Wallstrom Hansen. Venez-vous plonger dans ce récit des illusions perdues au sein de La Communauté. Tendre, immersif, attachant et lucide.

seb2046
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le 18 janv. 2017

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