Je découvre le cinéma indien, et Satyajit Ray par la même occasion, avec ce très beau film !
Sous ce titre magnifique se cache une terrible histoire de famille et de misère. Et surtout, de perte d'espoir. Le début est assez brillant ; je pense à ce moment où Apu naît, les parents parlent de l'avenir, ils sont pleins d'intentions, ils sont encore pleins d'espoir malgré la dureté de leur milieu. Puis d'un coup, une ellipse de sept ans ; Apu a grandi, sa soeur aussi, mais rien n'a changé... La même misère, les mêmes médisances destructrices ! L'espoir s'envole. Cela m'a beaucoup rappelé La Terre tremble de Visconti, qui mettait aussi en exergue cette misère meurtrière ; la misère est le meurtrier de l'espoir. La grande différence, cependant, c'est que dans le film de Visconti, les personnages sont très politisés, et s'inscrivent dans un dialogue idéologique précis. Ici, il y a une portée assez universelle finalement, malgré la barrière culturelle.
Y'a aussi un petit côté Ozu je trouve ; le film n'est pas très scénarisé (et c'est un point positif !), Satyajit Ray nous plonge dans sa culture avec une grande authenticité formelle, comme le fait Ozu. Et comme Ozu, Ray use beaucoup du plan fixe, ce qui est en totale adéquation avec le fond : tout est statique, rien n'avance. La posture des personnages aussi est intéressante, les mouvements d'Apu et des enfants particulièrement contrastent avec la rigidité des adultes.
Mais je trouve surtout qu'il y a un lien très fort avec le néoréalisme italien, malgré les différences culturelles. C'est surtout le lien à l'enfance, la posture de l'enfant, qui me fait penser au néoréalisme. Il est traité différemment, certes, mais il est au centre de l'histoire, ou plutôt, du moment de vie que capture Ray. L'enfant est la figure centrale de la misère, comme chez Rossellini ou De Sica. Cependant, les néoréalistes insistent beaucoup sur le fait que l'enfant n'a pas le temps d'être enfant, il devient adulte beaucoup trop vite ; ici, malgré la misère, l'enfant résiste parce qu'il reste enfant. Il connaît ainsi les joies de l'enfance, il s'autorise à rêver surtout, et le rêve, c'est ce qui peut sauver un monde sans espoir. C'est d'ailleurs ce que prône Kurosawa dans Dodes'Kaden...
Quand tout est perdu, un souvenir beau, surtout s'il remonte à l'enfance, peut nous sauver. C'est du moins la thèse d'Aliocha dans l'épilogue absolument magnifique des Frères Karamazov de Dostoïevski. Kurosawa fait de même avec le rêve ; ce n'est pas de l'espoir d'ailleurs. C'est une attitude ; se dire que grâce à notre esprit, à notre imagination, nous pourrons toujours nous échapper, et il faut garder intact ce pouvoir là, un pouvoir que l'on perd généralement quand nous quittons l'enfance. Les parents n'ont plus ce pouvoir-là. La mère est totalement dévouée, elle est totalement ancrée dans la réalité, trop peut-être, au point de ne plus pouvoir rêver. Elle me rappelle en cela beaucoup la femme de Germi dans Il Ferroviere. Apu lui est la matérialisation de ce pouvoir onirique. Une séquence le montre avec brio : c'est lorsque Apu vole dans la boîte à trésor de sa soeur une couronne de papier argenté afin de "jouer", tel un comédien, un rôle de prince, tout seul, à travers son imagination, et l'inspiration que lui a donné la pièce qu'il a eu la chance de voir la veille. A partir de rien, l'enfant construit un tout. C'est ça la beauté ultime de l'enfant, et c'est ce que nous montre Ray ici. Préservons l'enfance...
J'ai néanmoins trouvé que le film s'essoufflait un peu, il peine à se conclure je trouve, ce qui rend le derniers tiers du film un peu en dessous des deux premiers tiers. De plus, j'ai un petit reproche quant à l'édition (films sans frontières) : tout n'était pas entièrement traduit. Cela s'explique peut-être par des usages de dialectes différents, je ne sais pas trop, il y a certainement une raison valable, mais c'est dommage, je pense notamment à la séquence où Apu assiste à la pièce de théâtre, les tirades n'étaient pas traduites. Cela vient parfois un peu casser l'immersion, l'attache émotionnelle, cela met un coup d'arrêt quand la séquence s'étire en dialogues et que la traduction n'est pas disponible. Mais cela ne concerne qu'une poignée de scènes, heureusement.
Par contre, les 15 dernières minutes sont très fortes, très dures, c'est à pleurer. C'est une fin terrible, qui enfonce encore un peu plus la famille, qui n'espère déjà plus. L'espoir n'est plus là, alors on quitte le lieu, et on espère retrouver l'espoir. On entre dans une quête désespérée de l'espoir. Cette toute fin m'a beaucoup fait penser aux Raisins de la colère. Mais Apu brille encore ; et la conclusion sur l'affaire du vol des perles est absolument magnifique.
Je n'ai pas été touché tant que ça au final, mais le film a un lot de scènes extraordinaires. C'est un film admirable et important dans l'histoire du cinéma.