La Condition de l'homme : La Prière, Le Chemin de l'éternité, Il n'y a pas de plus grand amour

Masaki Kobayashi adapte en plus de 9 heures, les 6 tomes Ningen no jōken de l'écrivain Jumpei Gomikawa, son contemporain.
Tous deux mobilisés, le cinéaste sera envoyé en 1942 en Mandchourie, à l'instar de son héros, Kaji, (Tatsuya Nakadai -Harakiri-Kwaidan-Rebellion ...) que l'on suivra sur les trois opus de La condition de l'homme.


L'occasion pour le cinéaste de croiser les expériences. Alors, Il est clair que cette trilogie est longue et je dirais même qu'il faut s'accrocher. Premier opus après une première heure prenante, les situations auraient tendance à être redondantes, le second, idem, avec en sus, des dialogues criards et constants qui peuvent rebuter et une baisse de rythme en milieu de parcours. Mais le dernier opus vient clore avec brio le portrait désespéré de ce Japon perdu dans le malheur, le doute et la noirceur.


Mais pas de regret finalement tant la mise en scène recèle des petits trésors. Les plans de caméra parfois étonnants, les arrêts sur images, conférant au réalisme, les décors grandioses qui tout en apportant du souffle, jouent parfaitement sur l'enfermement ou ceux plus restreints du second opus, jouant sur un esthétique froide et carrée à l'image de Harakiri. Les dialogues, même si ils paraissent candides sont parfaitement clairs et apportent ce charme de l'évidence. Ils ne permettront pourtant pas de faciliter l'échange et ne semblent être que des mots pour soi-même, pour se rassurer et se convaincre à la lutte. La difficulté de communication prend alors une autre dimension, la défaite courue d'avance et témoigne du grand pessimisme du réalisateur. Un bel exemple de « mauvaise volonté » du traducteur japonais lors de la scène avec le commandant russe (opus 3), où quelle qu'aurait été la traduction, bonne ou mauvaise, elle n'aurait eue aucune prise sur cette condition de l'homme, ce que démontre avec talent le cinéaste, par l'échec du langage, l'identité humaine n'existe plus.


Il n'y a pas de plus grand amour, la première partie voit Kaji jeune homme diplômé qui ne souhaite que vivre heureux avec sa compagne Michiko (Michiyo Aratama) et qui, pour éviter la mobilisation, se verra garde chiourme dans les mines de Mandchourie. Humaniste il souhaite dénoncer la condition des chinois, main d'œuvre à moindre frais pour l'armée impériale. Il est, et reste idéaliste et se verra confronté à sa hiérarchie et en subira les conséquences.
Le Chemin de l'éternité ou les conditions de vie à l'armée, fait le lien avec le travail éreintant dans les mines où quel que soit votre rang, la soumission est de mise. Avec les exactions subies Kaji tentera encore de lutter tout en se conformant aux règles, tantôt rebelle, tantôt partie prenante pour sa sauvegarde et celle de ses collègues soldats, avant la scène finale, réussie et attendue, de la confrontation avec les russes. Etonnée de certaines envolées et situations, où pour exemple dans cet opus, les hommes cachés hurlent et laissent leurs sentiments s'exprimer au vu et au sus de tous, notamment des russes, absents tout à coup....Mais là encore, il s'agit pour le cinéaste je suppose, d'extraire l'homme de son contexte, de le rendre inexistant au monde.
La Prière du soldat c'est la fin de la guerre, la défaite du Japon, la survie dans un périple fastidieux pour retourner, avec l'espoir du condamné, à son ancienne vie et ce sont les camps de prisonniers russes, miroir encore de la condition misérable de l'homme, où qu'il se trouve.


On retrouve la même brutalité qu'avec les japonais, malgré leur différence de points de vue et rappelle aux dialogues avortés. Rien ne saurait s'améliorer sans le regard à l'autre. Seul Kaji lutte encore entre son désir de fuir et sa lutte contre l'injustice. Droit et endurant, il n'est tenu que par le lien avec Michiko et l'espoir d'une vie meilleure. Et seule, Michiko permettra à Kaji , par la force de leur amour à ne pas sombrer.


Les femmes ne sont que peu présentes mais suffisamment pour démontrer qu'elles sont les victimes collatérales, oubliées et souvent violentées. Le cinéaste choisit de suggérer plutôt que de montrer. Il évite ainsi un voyeurisme déplacé et apporte une certaine tension et suspense qui participent au rythme manquant de deux précédents opus.


L'injustice sociale et la haine des japonais, qui trouvent son apothéose dans la troisième partie, la plus réussie à mon sens, tant par la diversité des exemples donnés, du cheminement de l'homme, de ses rencontres, ouvrant la dimension de l'oeuvre au Japon tout entier, que par une mise en scène plus fluide même si le montage est parfois abrupte. Le noir et blanc et ses clairs obscurs apportent une touche théâtrale, poétique et une dimension onirique puissante..


L'ensemble peut paraître un tantinet dépassé par la morale, il n'en reste pas moins que c'est toujours d'actualité. Que pourrait être un pays sans valeur, en ne tenant pas compte de l'humain, qu'est-ce qu'un homme si il est réduit à ses bas instincts ?


Tournés en 1959 et 1961, c'est forcément marquant que le cinéaste quelques années seulement après la fin de la guerre, puisse proposer une dénonciation sans appel de la société japonaise et en l'occurrence de l'Armée, de la hiérarchie et du patriotisme exacerbé. Contrairement à certains films tournés sur le sujet, bien plus tard, (évolutions des mentalités aidant), Kobayashi, lui, aura pris un risque et se verra ensuite en difficulté pour continuer son travail de cinéaste. Rien que pour cela, cette trilogie mériterait d'être regardée.
Tout son propos sur la société japonaise, se retrouvera plus tard, dans la critique des traditions passées, avec Harakiri et Rebellion.

limma
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le 24 juil. 2018

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