Féroce et implacable, le premier film en couleurs d’Hitchcock est une véritable prouesse dans tout le sens du terme. Les sous-entendus et la perfection technique sont si évidents que cet opus compte parmi les chefs-d’œuvre incontournables du maître. L’histoire est celle de deux étudiants qui en suppriment un troisième, pour la seule beauté du geste. Défi suprême, le meurtre précède de peu une soirée où ils reçoivent les parents de la victime et leur ancien professeur, ce qui est cynique à souhait.


« La corde » (1948) est tout d’abord une œuvre spéciale, inattendue, corrosive, dont le réalisateur semblait peu satisfait. Il l’aurait souhaité plus efficace, ce qui me semble difficile. Dans cet opus apparaît pour la première fois l’acteur James Stewart qui bénificiera, par la suite, d’une longue collaboration avec Hitchcock et, d’ores et déjà, fait preuve d’une présence remarquable de persuasion. Pour donner plus de mordant à la pièce d’origine, signée Patrick Hamilton, Hitchcock a mis l’accent sur l’homosexualité des deux meurtriers. Le code Hays, alors en vigueur, empêche les auteurs de le déclarer ouvertement, mais de très nombreux indices nous mettent sur la piste de cette appartenance sexuelle. Avec un sens de l’humour noir décapant, Hitchcock, en subtil démiurge, manipule ses acteurs comme de véritables marionnettes, avec une audace diabolique, invitant les spectateurs à se faire ses complices. Pervertissant l’adage selon lequel les élèves cherchent toujours à surpasser le maître, il montre les dangers d’un enseignement philosophique mal interprété. Faisant de la violence et du meurtre un jeu, l’auteur pointe du doigt toute forme de dogmatisme, sans jamais s’appesantir sur un message qu’il estimerait trop moralisateur.


Ironique et subversif, « La corde » est aussi d’une inventivité incroyable qui se joue de l’unité de temps et de lieu et ne perd aucun de ses atouts à être tourné en vase clos. Composé de onze plans séquences enchaînés de façon à donner une impression de totale continuité, le film surprend par son brio technique et ses joutes oratoires. Effectivement, le procédé contraint chaque acteur à être parfaitement synchronisé à ses collègues. Un exploit technique qui a inspiré bon nombre de cinéastes dont Brian De Palma ou Alex de la Iglesia. Si James Stewart impose sans problème son personnage de professeur aux théories douteuses, il ne faut pas oublier le couple Farley Granger - John Dall. Ce dernier est implacable dans sa démonstration cynique et ajoute encore à la montée en puissance du climat de suspense qui s’établit dès les premières scènes. Ludique et souvent jubilatoire, « La corde » peut être considéré comme un condensé de l’oeuvre hitchcockienne, mêlant avec une habilité exemplaire l’humour le plus noir et l’habileté la plus caustique. Epoustoufflant. 1

abarguillet
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 28 mars 2016

Critique lue 359 fois

4 j'aime

abarguillet

Écrit par

Critique lue 359 fois

4

D'autres avis sur La Corde

La Corde
Ugly
8

Défi en 8 plans-séquences

La Corde, c'est d'abord une prouesse technique ; il s'agit non seulement du premier film en couleurs d'Alfred Hitchcock, mais d'un film légendaire tourné en un seul plan, les raccords imposés par les...

Par

le 26 sept. 2019

67 j'aime

19

La Corde
SeigneurAo
8

Le verbe, sa corde, avec le sujet

Tiré d'une pièce de théâtre, elle-même basée sur des faits réels, La corde frappe à plus d'un titre par ses thématiques. Le meurtre en tant que "sport", stimulation intellectuelle, la quintessence...

le 10 mai 2012

55 j'aime

6

La Corde
Vincent-Ruozzi
8

Le cluedo

Pour son premier film en couleur, Alfred Hitchcock s’était lancé un grand défi : réaliser un film qui semblerait n’être tourné qu’en un seul plan séquence. Ce projet ambitieux était irréalisable pour...

le 12 avr. 2016

50 j'aime

3

Du même critique

Le Beau Serge
abarguillet
7

Critique de Le Beau Serge par abarguillet

Grâce à un petit héritage personnel, Claude Chabrol, alors jeune critique aux Cahiers du cinéma, produit lui-même son premier film, réalisé avec le concours efficace d'une bande de copains réunie...

le 6 juil. 2013

15 j'aime

1

Plein soleil
abarguillet
9

Critique de Plein soleil par abarguillet

Tom Ripley ( Alain Delon ) a été chargé par un riche industriel américain, Greanleaf, d'aller chercher son fils Philippe ( Maurice Ronet ) en Italie, où il mène une vie oisive en compagnie de Marge (...

le 25 mai 2013

13 j'aime

1

Mort à Venise
abarguillet
10

Critique de Mort à Venise par abarguillet

Mort à Venise, film lumineux et complexe est, sans nul doute, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du 7e Art. Inspiré d'un roman de l'écrivain Thomas Mann, lui-même influencé par la philosophie...

le 25 juin 2013

13 j'aime

1