Film très réussi au procédé très original, qu'il me faut expliquer : c'est un film documentaire dont le propos est de suivre un jeune homme d'environ 20 ans, Bastien, qui est membre militant du Front National, juste avant les élections présidentielles de 2017. Les cinéastes le film dans son quotidien, meetings, collages d'affiches, rencontre avec l'un de ses dieux, Florian Philippot, etc. Ces scènes sont entrecoupées d'entretiens où Bastien est face caméra, et lit un texte, qui est le texte-off, très littéraire, que les cinéastes ont écrit, texte qu'on entendra en voix-off durant tous les films pendant les images documentaires. C'est un très beau texte, qui retrace toute la vie du jeune homme, et qui découle des nombreux entretiens que les deux cinéastes ont eus avec lui avant de commencer le tournage. Durant ces scènes, Bastien commente le texte, l'annote, reviens sur certaines anecdotes de sa vie, exprime parfois son désaccord. Il faut savoir que c'est un jeune homme qui, malgré ses choix politiques, attire plutôt la sympathie. Il a le visage rond, tout juste sorti de l'adolescence, et est poli, bien élevé souriant. On peut se dire parfois que les cinéastes qui font pourtant un boulot extraordinaire, l'utilisent, utilisent son innocence pour décrire un phénomène de société, et font du jeune homme un objet qu'ils manipulent pour servir leur propos. Ce pourrait être partiellement vrai parfois, mais cette théorie vole en éclat au milieu du film, lorsque Bastien fait une confession aux cinéastes, leur racontant quelque chose qu'il avait tenu secret pendant tous les longs préparatifs du film : plus jeune, Bastien avait été inscrit dans un collège d'exception, très haut de gamme, formant les meilleurs élèves. Mais il n'avait pas tenu, il n'était pas assez bon. Il avait dû quitter ce collège, humilié, pour être placé dans un autre bas de gamme, rempli de racailles (dixit l'intéressé). Nourri par la rancœur et l'amertume, et influencé par les tueries de type Columbine qu'il matait sur internet, le jeune Bastien a un jour pété un câble : il a pris une carabine de son père, et est parti en direction de son ancien collège, dans le but de tuer tout le monde. Dieu merci, ses parents ont vu l'absence du fusil, et ont pensé que leur fils allait se suicider, ils ont appelé la Police, qui l'attendait au collège et qui a évité le carnage. Suite à ça, Bastien a eu pas mal de déboires, et a notamment été placé dans une famille d'accueil loin de chez lui. C'est là qu'il a rencontré pour la première fois de sa vie des skinheads, et c'est ainsi qu'il est devenu skinhead. Et que tout a commencé pour lui. Il a ensuite changé de région (Beauvais pour Amiens) et a intégré le Front National en cachette : en cachette de ses anciens copains skinheads qui trouvent le FN trop mou, trop consensuel, et en cachette de ses parents à qui il n'a jamais parlé de son engagement, et qui vont donc le découvrir par ce film, La Cravate, qu'il tourne en n'en disant pas un mot à sa famille. Cette scène de confession imprévue est totalement sidérante, elle est le point central du film, le centre névralgique de tout le système. Et lorsque les cinéastes lui demandent l'autorisation de l'insérer dans le film, Bastien dit "non, il en est hors de question". Il changera finalement d'avis, la scène n'a pas été mise ici à son insu, et il a bien fait, car cette précisément elle qui fait basculer tout le film. On comprend alors que ce ne sont pas les cinéastes qui ont utilisé Bastien pour démonter un système, mais que c'est Bastien qui a utilisé ce tournage, cette proposition, pour en faire sa propre psychanalyse. En formulant cela, il le rend vivant, visible, à ses yeux tout d'abord, mais aux yeux du monde, donc de tout son entourage, qu'il soit familial, politique, ou touchant son passé skinhead. Le fait de sortir ce secret en place publique, lui servira, je l'espère, à assumer ce refoulé et à passer à autre chose. Et le film s'achève sur une question qui semble habiter Bastien depuis le début, et qu'il pose plus à lui-même qu'aux deux cinéastes hors-champ : "Mais alors, en fait, je suis un connard ou pas ?".