Spécialisé dans le dessin et les scénarios de BD, Joann Sfar a lancé sa carrière cinématographique il y a 5 ans avec le très sympathique Gainsbourg, vie héroïque, un biopic esthétiquement réussi mais qui manquait de folie et de profondeur. Après ça il enchaîna avec l'adaptation d'une de ses propres BD, Le Chat du rabbin, un film d'animation qui reçu de très bonnes critiques malgré un succès en salle plus frileux. Et voilà qu'il revient pour mettre en scène son troisième long métrage, adapté d'un roman de Sébastien Japrisot qui connait ici sa deuxième adaptation au cinéma. Sauf qu'ici Sfar décide de rester assez libre quand à l'adaptation du roman, pour offrir un film sous influence qui se perd en cours de route et qui laisse derrière lui tout le potentiel fascinant de l'histoire mais surtout de l’héroïne.


Le principal problème viendra donc du scénario et de son traitement, qui viendra handicaper à la fois la mise en scène mais aussi le jeu des acteurs. Car au final toute cette histoire ne tient sur pas grand chose parce que cette réadaptation enlève toute dimension psychologique à ses personnages. Ici ce ne sont que des âmes errantes, des ombres qui n'ont d'existence que par leurs formes ainsi on sera totalement déconnectés du personnage principal. On l'a regarde faire son voyage mais jamais on ne fait ce voyage avec elle ou à travers elle. Le film utilise même des moyens assez feignant pour que l'on s'identifie à elle, en la faisant parler toute seule pour faire un point sur son état psychologique et émotionnelle. Non seulement le film préfère le dire que le montrer, car à aucun moments on ne ressent vraiment le basculement du personnage dans la détresse et incompréhension, que ce soit par la mise en scène ou la direction des acteurs, mais en plus ses monologues se répète et il n'y a au final aucune vraie progression du personnage. Elle même semble déconnecter de ce qui lui arrive et son véritable objectif est au final assez ridicule. D'ailleurs le film mise sur une narration alambiquée et un scénario faussement complexe pour créer une sorte de mystère qui se révèle assez vain car non seulement le film est prévisible mais quand il met en lumière les tenants et aboutissants des événements tout cela semble ridicule. La révélation est bien plus stupide que j'avais pu l'imaginer mettant en lumières l'inertie et la stupidité des personnages. Heureusement certains personnages secondaires sont là pour apporter un minimum d'intérêt et d'épaisseur à l'ensemble et le début du film est plutôt bien troussé arrivant à nous captiver. L'ensemble s’essouffle par la suite n'arrivant jamais à atteindre ses ambitions de film noir ni même d'offrir une base symbolique suffisamment solide, car les contours de libération sexuelle et d'émancipation de la femme manque de subtilité et on déjà été traitée de la sorte.
Après il y a aussi de gros problèmes dans la direction des acteurs, qui fait généralement les mauvais choix. Benjamin Biolay ( c'est moi ou c'est le sosie de Benicio Del Toro ? ) et Stacy Martin seront les premiers à en faire les frais. Même si dans leurs rôles ils veulent se rapprocher des figures énigmatiques et froides des films des années 40, ils n'ont ni le charisme ni la prestance pour de tels rôles. Ils sont justes inertes et n'arrive jamais à être ni angoissant ni attirant. Par contre Freya Mavor s'en sortira bien mieux même si le film exploite son personnage maladroitement. A aucun moment il ne s'intéressera à sa dimension étrange et mystérieuse, préférant tout miser sur la plastique de l'actrice. Néanmoins elle s'impose par la fraîcheur de son jeu et par son charisme indéniable, on comprend la fascination qu'a pu avoir Sfar pour elle même si il passe totalement à côté dans son film. C'est dommage car elle avait clairement la prestance nécessaire pour être une grande héroïne de film noir, malheureusement ici on n'exploite pas son plein potentiel et malgré son talent, elle ne parvient pas à tenir le film sur ses épaules ni l’élever. La vraie surprise viendra de Elio Germano qui se montre ici excellent dans un rôle trouble qui arrive à créer à la fois le mystère, l'attirance et l'angoisse.
Sinon la véritable force du film viendra de son aspect technique, que ce soit la photographie très esthétisée qui se montre du plus bel effet ou encore le montage millimétré qui assure un bon rythme à l'ensemble malgré quelques errances en passant par une sélection musicale enivrante et mémorable. Tout est d'une maîtrise et du cinégénie incroyable. Il est juste dommage que la mise en scène en fasse un peu trop, se montrant au final trop superficielle malgré des tentatives intéressantes mais qui ne sont pas tenues. A l'image de l'envie de faire une ambiance très lynchienne mais par manque d'audace et d'inventivité cela se montre très fade, et peine à créer un véritable aura de mystère. Sfar a aussi trop tendance à réemployer les mêmes astuces de mise en scène que ce soit dans les montages psychédéliques ou dans la manière de filmer sont actrices. Pour les premiers, on a une emploi systématique de split screens, de fondus enchaînés et de superpositions d'images qui finissent par tourner à vide et montrer l'absence d'idée d'une mise en scène certes maîtrisé et esthétique mais vaine et tapageuse. Ensuite la manière qu'a Sfar de filmer son actrice pose aussi problème, car il filme l'actrice et non le personnage. On a une impression de voyeurisme à défaut d'avoir une sensation de mystère et de sensualité. Car filmer le corps de l'actrice sous toute les coutures et dans des positions lascives ne suffit pas à rendre le personnage iconique et fascinant, parce que certes l'actrice est très jolie, on a compris que Sfar l'appréciait beaucoup mais à aucun moments le personnage n'en ressort grandit ou plus mystique. Après le film aurait pu exploiter une forme de fétichisme érotique pour dynamiser son film et le rendre plus sensuel, car ici Sfar passe énormément de temps à faire des gros plans sur les jambes et les pieds de son actrice ( j'ai arrêté de les compter tellement il y en a ) mais au final, là aussi ça ne même à rien car ce n'est qu'un prétexte pour s'attarder sur cette partie de l'anatomie de l'actrice sans servir le film de cette "fascination".


En conclusion La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil est un film superficiel et assez vain mais qui sait par, de rares occasions, se montrer accrocheur et charmant quant il n'est pas tout simplement fade et un peu bête. Au final toute cette joyeuse bande a voulu prendre la route mais s'est trompée de voie passant ainsi à coté de son film. La plupart des intentions sont ratées, le scénario se révèle stupide et habité par des personnages inconsistants tandis que la mise en scène ne se montre pas aussi puissante que prévu. Reste que le film est conduit par une actrice ravissante et qui à un fort potentiel, grâce à son charisme, son naturel de jeu mais aussi son charme étrange et fascinant qui va bien au delà de son physique ( chose que n'a malheureusement pas compris le film ). Sans parler aussi d'une technique irréprochable qui nous offre quand même un film très esthétique et plaisant à écouter. Mais voilà de belles images, une bonne bande son et une très jolie actrice ne suffisent pas à faire un bon film car ils ne sont en aucun cas utilisés de manière pertinente faisant que le film passe à côté de ses belles promesses. En tout cas le film révèle quand même Freya Mavor, actrice talentueuse à suivre de près, ce qui fait que toute l’entreprise n'aura pas servit à rien.

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le 8 août 2015

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