Blonde platine et meurtre crapuleux : Orson Welles dans tout son art

Cette critique spoile certains aspects du film, cruciaux. Donc, attention, SPOILERS

Orson Welles épate. Orson Welles innove. Orson Welles est un réalisateur hors du commun, comme il est trop rare d'en voir, qui fait de chacun de ses films une expérience nouvelle et réussie. Et il ne déroge pas à la règle avec La Dame de Shanghai, film noir avec crime cupide, où l'intelligence du scénario n'a d'égale que la mise en scène prodigieuse.

On a souvent parlé de règlement de comptes avec son ex-femme dans ce film. Je ne sais pas si c'est vrai, bien que la position du personnage jouée par l'excellente Rita Hayworth, son caractère peuvent laisser transparaître un peu d'amertume quant au divorce qui vient d'être prononcé : car ici, plus que le feu de ses cheveux, c'est carrément l'âme de l'actrice qui n'est plus tant son personnage est cruel et uniquement attiré par l'argent. A l'opposé, Orson Welles est une victime d'un plan ingénieux mais qui va réussir à s'en sortir grâce à une volonté de fer et un caractère bien trempé. Bref, si combat il y a, il en vaut la peine.

Car l'histoire passionne. La nonchalance d'Orson Welles, accompagnée de sa voix entraînent le spectateur dans une histoire et font de lui l'ami du héros, son confident. La narration omnisciente, est utilisée de manière à offrir quelques indices à qui veut bien l'écouter sans jamais devenir trop envahissante (contrairement aux films de Truffaut dans lesquels ce narrateur agace plus qu'il n'apporte au film) et un peu comme pour Assurance sur la Mort on découvre petit à petit à travers la mémoire du personnage principal l'histoire de celui-ci, sa crédulité face à l'amour d'une veuve noire, sa naïveté sous son écorce de fier marin. Jusqu'à la scène finale on ne veut pas croire au crime, on ne veut pas voir la noirceur derrière la blondeur et à l'image de ces miroirs qui se brisent de manière spectaculaire, l'illusion n'est plus.

Comme toujours, donc, Orson Welles offre plus qu'une ambiance, plus qu'une histoire mais un véritable chef d'œuvre dans un genre qui lui va bien finalement. Et chaque scène, chaque plan, chaque image a une signification, rien n'est laissé au hasard, tout n'est que métaphore et sur-lignage de l'intrigue, sans jamais que cela soit criard ou pompeux : on a l'impression que tout est naturel dans le mouvement de la caméra, un peu comme lors du plan séquence de La soif du mal. On passe outre le défi technique et on raconte une histoire en ouvrant une fenêtre vers un autre monde.

Tout est léché, jusqu'aux personnages, auxquels on s'attache, on croit, qu'on peut matérialiser. Le film est relativement court compte tenu de la complexité du scénario mais cela n'empêche en rien la construction de chaque scène, de chaque péripétie sans que cela paraisse trop peu étudié, mal élaboré. Décidément, meilleur réalisateur de son temps, Welles laisse encore une fois son empreinte dans le cinéma et se révèle maître du film noir, avant son sublime "La soif du mal". Si ce n'est pas encore fait, courrez découvrir d'autres de ses œuvres, elles sont superbes et peuvent même s'avérer encore meilleures que celle-ci.

Carlit0
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le 5 mars 2012

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