juin 2011:

Encore une fois, merci à l'Utopia de ressortir de vieilles pelloches comme celle-ci de temps en temps et qui permettent de respirer l'Histoire.

La dame de Shanghai est très attirante. Dans tous les sens du terme, ce dimanche soir, on est une bonne douzaine dans la salle. Je m'attendais à bien moins. Le vieux ciné a encore de nombreux aficionados, c'est heureux.

Il est vrai que la distribution compte deux monstres sacrés, une Rita Hayworth coiffée à la garçonne mais toujours d'une intense sensualité, ainsi que le visage aux bajoues de plus en plus rondes déjà d'Orson Welles, mais dont le regard éprouve le désarroi, la perdition pour les yeux humides et la voix rauque, envoûtante de la belle de Shanghai.

Cette histoire est difficilement compréhensible, une toile d'araignée, dense, compliquée, venimeuse où il ne faut surtout pas tenter de démêler le vrai du faux, lui trouver une logique, une orientation bien définie. A l'instar d'un "grand sommeil" vasouillard mais tellement jouissif, le film se sirote tel quel, par sa trajectoire, son atmosphère, son noir corsé et poisseux, ses comédiens formidablement mis en scène et cette écriture qui donne à certaines scènes le statut anthologique.

En effet, parmi celles-ci, la scène de l'aquarium joue merveilleusement de l'ombre, propice à l'aveu comme au complot et des lumières qui découpent les silhouettes, puis les visages, afin de mieux les dessiner, leur rendre un hommage éternel. Ou bien encore, cette dernière séquence où Welles fait mumuse avec les miroirs aux alouettes, multifacettes pour mieux révéler la nature exacte des personnages, leur duplicité. La mise en image est épatante d'assurance malgré la complexité de certains plans. Il s'en dégage quelque chose de fantastique, d'admirable, de subjuguant, de l'ordre de la maestria, un art consommé du spectaculaire, au service du divertissement et des sens.

Et le plaisir n'en est que plus fort quand Rita Hayworth emplit l'écran de son visage, parfait support pour voyager dans les contrées fascinantes de la beauté fatale. Les gros plans sont nombreux montrant la finesse des traits de cette femme mystérieuse, ou bien la laideur grasse de Glenn Anders, les yeux pétillants de folie dans leurs profondes et inquiétantes orbites, ou bien encore les yeux de colère de Welles, furieux d'être le jouet impuissant de ces manigances, incapable de dire non, perdant son libre arbitre devant la grâce et la fragilité de cette vamp. Comme lui en vouloir?

Un film plein de charme et de crasse à la fois, astucieux, noir, irish coffee.
Alligator
8
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le 19 avr. 2013

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Alligator

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