Une fleur de lys sortant de la nuit...

LA DANSEUSE (14,2) (Stephanie Di Giusto, FRA, 2016, 108min) :


Ce Biopic intéressant nous narre le destin de Loïe Fuller, jeune cowgirl du grand Ouest américain, devenant à Paris, l’une des icônes de la Belle Epoque, la première performeuse dansante des cabarets de la fin du XIXe siècle pour finir à l’Opéra de Paris. Ce premier long-métrage de la réalisatrice Stéphanie Di Giusto a été présenté en ouverture de la sélection Un Certain Regard au Festival de Cannes 2016. Elle s’empare d’une histoire assez méconnue pour livrer une première réalisation très ambitieuse. Le problème éthique ou de la fiction en général quand celle-ci est censé nous présenter une histoire vraie réside dans l’adaptation exacte ou non de celle-ci. La réalisatrice a tranché elle livre sa vision fantasmée de l’héroïne (connue pour son homosexualité). Stéphanie Di Giusto va inventer de toutes pièces pour son récit un personnage d’aristocrate (Louis joué par Gaspar Ulliel) pour équilibrer très maladroitement cet état de fait et donc pratiquement gommer une partie de la personnalité de Loïe Fuller en nous soulignant ainsi le fait que cette « danseuse » ne savait pas trop qui elle était elle-même (sic). L’introduction elliptique ne s’avère pas non plus judicieuse nous faisant débarquer d’un coup au sortir de la scène et nous envoyer directement dans les rocheuses américaines avec une première partie certes magnifique visuellement et introductive pour le personnage mais très classique et pas forcément empathique pour qu’on puisse s’attacher aux différents protagonistes. Il faut attendre ce premier tiers du récit pour que l’histoire prenne l’ampleur que le titre nous promet. La mise en scène comme le personnage de Fuller quitte son cocon pour déployer des fulgurances et des virtuosités de plans à la hauteur de l’ambition affichée dès le début. La mise en scène devient lyrique, romanesque et onirique. Tout à coup tout devient bien plus somptueux encore, de la photographie absolument divine de l’incroyable chef opérateur Benoît Debie (Lost River, Spring Breakers, Enter the void…), de la reconstitution des décors et des costumes de l’époque et le décryptage fascinant de la performeuse avant-gardiste. La partie la plus pertinente de l’histoire nous démontrer le génie visionnaire de Fuller qui entêté et jusqu’au-boutiste invente des scénographies absolument sidérantes où des dizaines de mètres de soie invente une danse de sept voiles, où elle tourne sur elle-même avec deux immenses tiges de bambou dans les mains pour que le textile tournoie avec grâce autour d’elle, sublimé par un jeu de lumières et un dispositif scénique assez impressionnant et minutieusement pensé et dessiné de façon très ingénieuse par l’artiste. La mise en scène subjugue à ces instants là avant que la narration parfois pas toujours concluante, nous introduise l’autre héroïne, Isadora Duncan, nouvelle recrue et artiste en devenir interprétée de façon convaincante par la lumineuse Lily-Rose Depp. La confrontation donne la lumière sur le titre judicieux car on s’aperçoit vite que l’affrontement entre les deux femmes donne l’avantage à Duncan la « véritable danseuse » portée par la grâce, la pureté et une facilité technique que Fuller n’a jamais eu. L’arrivée de cet ange maléfique nous plonge dans un affrontement complexe où le papillon Fuller va se consumer au contact de cette lumineuse adversaire artistique. Malheureusement par un problème d’écriture scénaristique cette relation ambiguë se trouve trop vite expédiée par la réalisatrice au profit de la relation inventée avec l’aristocrate Louis au bout du rouleau. Le reste du casting est au diapason notamment l’impeccable Mélanie Thierry discrète assistance dévouée et attachée à Fuller, dont on peut regretter le manque de profondeur dans son traitement. Cette icône avant-gardiste trouve en Soko, une interprétation rustre, têtue, totalement habitée et investie par son rôle (aucun doublage pour les performances scénographiques entre autres…) rendant justice à l’acharnement de cette inventrice vouée corps et âme à l’art créatif qui a révolutionné son domaine. Le long métrage bénéficie de nombreux morceaux de classique collant parfaitement à l’univers psychologique et scénographique de Fuller (Les quatre saisons de Vivaldi entre autres…) et la bande sonore de Warren Ellis & Nick Cave tirée du film L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) d’Andrew Dominik. Malgré les « soucis » évoqués ce premier long métrage singulier est totalement prometteur quant aux qualités de cinéaste de Stéphanie Di Giusto et à ses futures productions cinématographiques. Venez découvrir cette « danseuse du Lys » dans l’étonnant « La danseuse ». Poétique, parfois agaçant ou fascinant mais indéniablement touchant et pictural.

seb2046
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le 27 sept. 2016

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