Cinquième long métrage du cinéaste transalpin Elio Petri, La Dixième Victime pourrait facilement faire figure d'OFNI dans la filmographie de l'auteur d'Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Appartenant au genre de l'anticipation ou, plus précisément, de la dystopie, ce long métrage tendrait à s'écarter frontalement des précédentes réalisations de l'italien. Mis en scène par Pietri après deux comédies, Il Maestro di Vigevano et le segment Peccato nel pomeriggio du film à sketches Haute fidélité, plus sa participation au scénario des Monstres, monument de la comédie à l'italienne signé Dino Risi, La Dixième Victime marquait en premier lieu le retour de l'acteur Marcello Mastroianni, interprète principal de son premier long métrage L'assassin, et du grand Tonino Guerra, scénariste de ses deux premiers films « Antonioniens ». Nourri de ces diverses expériences, avec plus ou moins de succès (en particulier Il Maestro di Vigevano dont Pietri fut insatisfait) dans le genre comique, Petri surprit donc en décidant d'adapter la nouvelle La Septième Victime de l'Américain Robert Sheckley. Transposé dans le futur, l'univers de la nouvelle recouvrait toutefois certains traits propres au cinéma de l'italien, dont sa nécessité de questionner les évolutions de la société italienne, livrant ainsi une satire sociale aux accents résolument « pop ».


Tourné sept années après la nouvelle de Sheckley, en 1965, La Dixième Victime dresse, sous couvert de fantaisie pop, un portrait sarcastique des (r)évolutions et des effets de la modernisation de la société italienne au mitan de la décennie. Deux années avant le publication de l'essai de Guy Debord, le quatuor de scénariste Tonino Guerra, Giorgio Salvioni, Ennio Flajano et Elio Petri dressent un constat similaire, dans cette supposée dystopie, d'une société du spectacle vouée au culte de la jeunesse (les personnes âgés sont « confiés » à l'État), dominée par une marchandisation de la vie, et de la mort (l'assassinat dans les conditions du jeu s'apparente à un acte commercial), et marquée par le sensationnalisme des médias, l'appui du capitalisme (les candidats sont sponsorisés par des grandes marques) et l'approbation des masses (les vainqueurs sont élus au rang de héros de la nation avec les honneurs qui lui sont dus : exemption d'impôts, véhicule diplomatique, etc.). Grinçant, La Dixième Victime se démarque toutefois des prochaines œuvres de Pietri, celle-ci garde en effet encore une légèreté et une douce ironie en harmonie avec les 60's pré-contestation, loin de la radicalité et du ton réaliste de La classe ouvrière va au paradis réalisé alors six ans plus tard.


À la croisée du film d'action 60's (la mode en Italie, comme pour le reste du continent, est alors à l'« eurospy » ou ces films d'espionnage coproduits à la chaîne voulant imiter le succès d'un certain 007) et du film d'anticipation, La Dixième Victime est à l'image du Alphaville de Jean-Luc Godard, sorti la même année, un long métrage de science-fiction filmé en décor réel. Différence notable, Petri s'inspire déjà, trois ans avant le déluré Danger : Diabolik ! de Mario Bava, d'une esthétique tirant sa source des fumetti (bandes dessinées italiennes), avec son lot de décors futuristes et de costumes avant-gardistes. Avec son ambiance pré-psychédélique, ses couleurs chatoyantes et sa musique qui va de pair, le film est d'autant déstabilisant que sa forme est aux antipodes de la noirceur de l'histoire et du cynisme des protagonistes portés par une seule conviction, l'argent.


Interprétés par un Marcello Mastroianni peroxydé et une Ursula Andress auréolée de son statut éternelle de première James Bond Girl, le choix des deux acteurs vedettes conforte la dualité et le mélange des genres exposés précédemment. Au glamour s'oppose la désinvolture des personnages et leurs doubles jeux sentimental et belliciste. Désabusé par la vie, l'amour et les femmes, l'Italien Marcello Poletti évoque à ce titre un hypothétique descendant du Marcello de la Dolce Vita de Frederico Fellini (une des rues du film porte son nom en guise de clin d'œil).


Parodie des films d'action de son époque, satire sociale, délires pop, La dixième victime, en dépit d'un coup de mou dans sa seconde partie, s'inscrit comme une parenthèse récréative réussie de la part d'Elio Petri en attendant des lendemains plus sombres.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/07/la-dixieme-victime-elio-petri-1965.html

Claire-Magenta
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le 2 nov. 2017

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