"La fièvre dans le sang" s'apparente dans un premier temps à une sorte de film de propagande puritaine à l'attention des adolescents avant de changer complètement de nature, dans un second temps.

De fait, c'est drôle (oserais-je dire jouissif ?) de voir le film déployer des trésors d'artifices dans sa tentative voulue ou non de traiter de l'apprentissage des choses de la vie par Deanie et Bud.
S'il n'est pas abordé de front, le sexe est ultra pesant: cf. la scène ou Bud et Deanie se retrouvent en tête à tête chez cette dernière, ou encore le dialogue entre Deanie et sa mère dans la salle de bain (les gémissements que pousse Nathalie Wood sont...hum...dérangeants) .

Périphrases, sous-entendus et métaphores plus ou moins subtils se succèdent dans une contorsion cinématographique qui fait tellement penser à un cours d'éducation sexuel déguisé que ç'en est fascinant en dépit de côté daté du long métrage pour un spectateur du nouveau millénaire.
C'est précisément là que réside le piège. On croit avoir affaire à à une œuvre de Kazan suranné et vintage avec pour toile de fond une amourette de lycéen gonflée à bloc niveau guimauve tendue grossièrement par-dessus une sexualité bouillonnante. Totalement faux !

En s'engageant dans la dramatisation volontairement excessive du rapport amoureux entre Deanie et Bud, en s'appuyant sur une puissante frustration sexuelle, Kazan prend le parti de jouer avec les conventions de l'Amérique conservatrice pour décrire leur toxicité sur les individus, leur libre arbitre et leur quête du bonheur.

Bien plus profonde qu'elle n'y paraît, la seconde partie flirte avec un certain réalisme, loin du cliché à l'eau de rose: le délitement de la relation entre les deux jeunes gens est irréversible justement parce que les raisons en sont affreusement triviales. Dès lors, l'intrigue se paie le luxe de brasser dans un savant dosage le multitude de thèmes: critique du capitalisme rapace (le krach de 1929 constitue un nœud de l'intrigue), satyre sociale (les conventions qui brident la jeunesse sans pour autant lui assurer son bien-être, bien au contraire), dissertation sur le sentiment amoureux et son intensité ravageuse, relation père-fils (Bud), mère-fille (Deanie), et même, et c'est sans doute le plus subtil, portrait de femme.

La fin du film est exemplaire à tous égards. Elle ne tombe pas dans la facilité de repeindre à la hâte le monde en rose. Deanie et Bud sont des individus totalement matures, aux trajectoires radicalement opposées, qui parviennent en quelque sorte à tourner la page, bien des années plus tard, tout en étant conscient que leur relation les hantera pour le reste de leur existence.

En proposant une étude de cas où sexe, amour, milieu social et familial, et contraintes sociales sont intimement liés, "La fièvre dans le sang" s'avère bien moins trivial et anodin que ne le laisse présager son titre français. Il constitue même une étrangeté pour un film datant de 1961.
Gondorsky
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le 11 févr. 2012

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Gondorsky

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