La Fille au bracelet. Le titre du nouvel opus de Stéphane Demoustier est sec et factuel comme le film lui-même, académique dans sa tournure, sans fioriture aucune. Inspiré d’un film argentin Acusada de Gonzalo Tobal, il a été réécrit par le cinéaste lui-même pour coller à notre réalité.


Le film s’ouvre sur un plan large comme tout droit sorti des années 50, vaguement sépia, vaguement vignetté, et on comprend par la suite que l’idée du cinéaste c’est d’introduire une certaine mélancolie , une nostalgie d’un temps familial heureux qui sera bientôt révolu. Car la séquence se finira par l’arrestation de Lise Bataille (Mélissa Guers), 16 ans, accusée du meurtre de sa meilleure amie. Une ellipse de deux ans couvrira le temps d’une instruction qu’on imagine destructrice pour les Bataille, et d’une incarcération de 6 mois pour la jeune fille. Le film s’intéressera plutôt au procès qui occupera dès lors la majorité du métrage.


De manière paradoxale, les films de procès sont rarement soporifiques. Toute la parole débitée et le manque patent d’action sont au contraire une source de tension et d’attention de la part du spectateur. Pour ne citer que les plus récents d’entre eux, on pense par exemple au Procès de Viviane Amsalem de la regrettée Ronit Elkabetz (et de son frère Shlomi), où la protagoniste (Ronit elle-même) demande, 5 ans durant, le divorce d’avec un homme qu’elle n’aime plus. C’est l’absurdité kafkaïenne du procès, et du processus tout entier qui tient en haleine. On pense également au Third Murder de Hirokazu KoreEda, un film qui s’axe plutôt sur l’archaïsme des codes de l’honneur à la japonaise , et qui retient l’attention du fait de la cruauté de la justice nippone.


En ce qui concerne La Fille au bracelet, l’angle d’attaque est encore différent, bien que tout aussi captivant. Stéphane Demoustier va instiller le doute jusqu’à la dernière seconde de son film. Lise Bataille est une jeune fille de son temps, qui ne souhaite pas être mise dans un carcan. Puisqu’elle a eu l’impudence d’un acte sexuel aussitôt traité de pornographique par la société (alors qu’il s’agirait plutôt d’un acte presque potache du point de vue des jeunes), et que la victime a aussitôt posté sur les réseaux sociaux, alors, l’instruction a été menée entièrement à charge, et Lise ne peut être que la coupable, alors même qu’il n’y aucune preuve tangible. Mais Lise ne fait rien pour se défendre, se murant dans un mutisme suspect, ne répondant ni au Président de la Cour, ni à la Procureure (Anaïs Demoustier, plus juste et incisive que jamais), la plus acharnée d’entre tous. Ce qui est troublant, c’est qu’il est très difficile pour le spectateur de cerner les motivations de Lise, et quand ce dernier se surprend lui aussi à douter, quand, par moments, on voit que les parents eux-mêmes ont des instants de doute, on comprend assez rapidement ce que l’avocate de Lise (excellente Annie Mercier) veut dire, quand elle annonce lors de sa plaidoirie « que savons-nous de nos adolescents de 16 ans ? ». On comprend bien vite que les silences de Lise ne sont pas forcément des signes de culpabilité, mais seulement le reflet d’une génération nouvelle qui fonctionne avec des codes totalement étrangers au monde des adultes présents. On comprend que Lise réagit presque contre le procès de sa génération et de ses libertés, et non par rapport à son sort personnel.


En filigrane du procès, Stéphane Demoustier dresse le bilan de cette procédure judiciaire quant à ses impacts sur la famille Bataille. Cette famille qu’on avait vue si insouciante en début de métrage, si unie dans leurs jeux, est bien sûr disloquée. Le benjamin (Paul Aïssaoui-Cuvelier) est livré à l’ennui, les parents (Roschdy Zem et Chiara Mastroianni) se parlent à peine, et Lise tente tant bien que mal d’avoir un semblant de vie sociale avec son lourd bracelet électronique à la cheville. Déscolarisée, elle est seule, hormis une amie par-ci, un petit copain par-là dont elle ne connaît même pas le nom de famille. Les parents sont dépassés par tout ce qu’ils apprennent sur leur fille, presque une étrangère désormais à leurs yeux. Ici encore, dans la sphère familiale, le film pointe du doigt le fossé inter-générationnel. Comme le disait un spectateur jeune soixantenaire de mes connaissances : « Dire qu’à cet âge, on jouait aux Mille Bornes ! ».


Bien qu’un brin académique, la Fille au Bracelet est un film réussi, prenant, sans aucun faux rythme, et édifiant sur la dernière génération. Sans être aussi immersif que les premiers films de Larry Clarke, le Bling Ring de Sofia Coppola ou encore le Spring Breakers de Harmony Korine, il peut être considéré, au-delà du genre film de procès, comme appartenant à la même catégorie de films qui tentent de percer les mystères de l’adolescence, sans jugement ni parti pris, et c’est cette double casquette qui le rend si captivant.

Bea_Dls
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le 13 févr. 2020

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Bea Dls

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