[Article contenant des spoils]


La fille au bracelet adopte délibérément un réalisme proche du documentaire pour nous raconter le procès d'une jeune femme accusée de meurtre. En cela, il se rattache à la vogue actuelle des films d'immersion : qu'aurais-je voté à la place du jury ? On ressort de la salle en se posant la question, au sortir de ce film qui ne nous lâche pas une seconde. Dont acte.


Un film prenant donc, et ouvrant sur de nombreuses questions. Examinons-les.



  • Comment notre position, notre rôle, influence notre jugement. Ainsi, lorsque l'avocate générale demande à Céline si elle n'affirme pas l'innocence de Lise parce qu'elle est sa fille, celle-ci lui rétorque qu'elle ne la croit pas parce qu'elle est avocat général. Pas faux.

  • Comment nos valeurs morales influencent notre jugement. Très justement, l'avocate de Lise enjoint les jurés de "ne pas se tromper de procès", de ne pas faire le procès moral de Lise : astucieusement, le film met sur la sellette une jeune fille dont le comportement, notamment sexuel, choque la plupart des adultes (c'est une chose d'admettre ces moeurs chez les ados d'aujourd'hui, c'en est une autre d'accepter que sa propre fille s'y adonne, et le film permet bien de s'identifier aux parents).

  • La relation parents-enfants aujourd'hui. Le père se montre par moments trop autoritaire, par moments trop laxiste ; la mère fuit devant la question... Tous deux tâtonnent pas mal, et c'est, ai-je trouvé, un élément assez touchant du film.

  • L'utilisation de pièces du dossier à double tranchant. L'avocate générale voit deux de ses arguments se retourner contre elle : elle tente d'abord d'insister sur le côté "fille facile" de Lise (et celle-ci lui demande brillamment pourquoi dans ce cas son partenaire aussi ne serait pas "un garçon facile"), ce qu'utilisera l'avocate de Lise comme on l'a vu, en mettant en garde contre un procès moral ; ensuite, elle met le paquet sur le couteau, et quand celui-ci sera authentifié comme n'étant pas l'arme du crime, l'effet lui reviendra comme un boomerang. Le film dévoile ainsi d'assez belles subtilités sur la stratégie inhérente à chaque partie dans un procès. Et montre que l'avocate de la défense, qui paraît moins brillante que l'avocate générale, finit par l'emporter, en utilisant la force de l'adversaire, comme dans l'aïkido.

  • La notion d'intime conviction vs celle de preuve : je suis, pour ma part, plutôt convaincu qu'elle est coupable. Trop de choses que Lise ne peut pas justifier, comme cet "oubli" d'une heure, une heure quand même !, passé dans un parc. Et puis, rappelons que seule l'ADN de Lise a été retrouvé sur place. Il y a aussi la scène où Lise baisse la tête à la station-service, qui ne relève pas du geste de simple fatigue selon moi. Pour autant, l'aurais-je condamnée ?.... Je ne pense pas car, en l'absence de preuves formelles, je préfèrerais laisser un coupable impuni que prendre le risque de condamner une innocente à 15 ans de prison.


Sur ce dernier point, La fille au bracelet fonctionne un peu comme un 12 hommes en colère inversé : on a l'impression que le courage ici, aurait été de condamner Lise, et la facilité de l'acquitter. Intéressant, non ?


Le film a aussi l'intelligence de laisser dans l'ombre pas mal de questions : comment expliquer que Flora reste seule avec Lise alors que celle-ci l'a menacée de mort ? Une question qui plaide plutôt en faveur d'une réconciliation des deux amies, donc en faveur de Lise. Autre chose : l'enquête policière semble un peu mince, aucune autre piste n'a été étudiée et, par exemple, on n'a pas interrogé de témoins dans le parc où Lise dit être allée avec son frère.


Beaucoup de zones d'ombre persistent donc, à l'image de ce qui subsiste dans la tête d'un juré qui doit se prononcer. C'est certainement la grande force du film.


Sa faiblesse, c'est la forme. Sur le plan cinématographique, c'est assez pauvre, filmé assez platement, à quelques exceptions près, comme la Cour qui se reflète dans le plexiglas devant Lise. On cherche parfois la justification du cadrage, par exemple, les gros plans de derrière ou de côté du visage de Roschdy Zem. Et puis, je vais encore déplorer les nombreux plans dans une voiture, objet tellement peu cinégénique... Enfin, sur le plan scénaristique, la scène larmoyante de Lise à la fin s'accorde mal au reste du film et lui fait perdre en force (en même temps, elle n'est pas inintéressante car je me dis que c'est un sacré atout pour l'accusé d'avoir le dernier mot, et de pouvoir émouvoir les jurés).


Pas du grand cinéma, donc. Mais un film intelligemment construit, bien interprété (mention spéciale pour Melissa Guers, qui restitue superbement l'ambigüité de son personnage) et riche de pistes de réflexion (on prend conscience notamment de la galère que doit être le rôle de juré). J'irai jusqu'à 7, au diapason de la moyenne de SC à l'heure où j'écris.

Jduvi
7
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le 14 févr. 2020

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Jduvi

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