Dans son hôpital de Brest, une pneumologue découvre un lien direct entre des morts suspectes et la prise d’un médicament commercialisé depuis 30 ans par le laboratoire Servier, le Mediator. De l’isolement des débuts à l’explosion médiatique de l’affaire, l’histoire inspirée de la vie d’Irène Frachon est une bataille de David contre Goliath pour voir enfin triompher la vérité.


Dès la première scène, une opération à cœur ouvert filmée en gros plans, le ton est donné : la réalité sera montrée de manière crue, quitte à déstabiliser par moments le spectateur. Cette réalité, c’est celle que les dirigeants du laboratoire Servier ne souhaitent pas voir et dont ils sont pourtant responsables : la mise sur le marché d’un médicament ayant provoqué la mort de plusieurs centaines de patients. C’est bien cette recherche de vérité qui sert de fil conducteur au film et qu’Emmanuelle Bercot, signant ici son huitième long-métrage, porte comme un étendard. Avant d’être un thriller politique ancré dans son époque, le film est avant tout le portrait d’une femme nageant à contre-courant des opinions majoritaires et dont le nom est à présent familier du public français. Interprétée avec brio par l’actrice danoise Sidse Babett Knudsen (connue des sériphiles pour incarner l’un des rôles principaux de Westworld), Irène Frachon nous est donnée à voir comme une jeune femme seule et courageuse, dont l’humour et la bravoure viennent se heurter à la placidité des responsables du laboratoire. Son portrait, autour duquel se déroule le reste du film, n’est pas sans rappeler celui d’Erin Brockovich autre lanceuse d’alerte, dans le film éponyme réalisé par Steven Soderbergh. De fait, La fille de Brest s’inscrit dans la lignée de thrillers politiques qui, depuis Les hommes du président jusqu’au récent Spotlight, renvoient un reflet à notre époque et en interrogent les errements. Certes, les emprunts aux codes des séries américaines ou des thrillers Michael Manniens peuvent parfois prêter à sourire, tant ceux-ci sont devenus des archétypes dont on connaît par cœur le fonctionnement. Pourtant, l’utilisation d’une forme classique instituée permet à Bercot d’asseoir son propos et de mettre en lumière la chronologie des évènements. Ici, pas de longs discours larmoyants dont le seul but est de favoriser l’empathie du spectateur ni de représentation facilement manichéenne (Jacques Servier, le fondateur du labo, n’apparaît d’ailleurs pas dans le film) : Bercot dessine ses personnages avec un souci du détail qui concourt pour beaucoup à l’atmosphère réaliste du film. Pour Bercot, seule importe la recherche de réalisme et de vérité, les aspirations de la réalisatrices rejoignant ainsi celles de son personnage principal. Aux personnages secondaires entourant Irène, tous inspirés de membres de son entourage, s’ajoute un certain nombre de journalistes jouant leur propre rôle. Le film crée ainsi un pont entre deux genres, la forme fictionnelle venant ainsi combler les manques de ce que le documentaire ne peut représenter.


Sans abuser de la shaky-cam, lieu commun du thriller politique, Emmanuelle Bercot fait tournoyer sa caméra autour des personnages, l’image se faisant ainsi l’écho de l’imprévisibilité des évènements et de la fragilité d’un système prêt à imploser. Les gros plans captent l’émotion des visages : le sourire de Sidse Babett Knudsen, imperturbable même dans les pires déconvenues, reflète l’état d’esprit d’une femme à la force incroyable et à la témérité revigorante.


Lors de sa projection au Poitiers Film Festival en présence de la réalisatrice, le film fut accueilli par un standing ovation de plusieurs minutes. Des applaudissements qui semblaient autant s’adresser à Emmanuelle Bercot pour son œuvre humaine et percutante qu’à la véritable Irène Frachon, héroïne des temps modernes dont le courage et l’abnégation ont permis de sauver de nombreuses vies. La fille de Brest est donc une œuvre nécessaire et percutante, qui prouve une fois encore que David peut parfois triompher de Goliath.


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DeanMoriarty
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le 26 nov. 2016

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