C'est dommage, on a typiquement affaire à ce genre de film qui est, si c'est possible d'établir une telle comparaison, plus intéressant dans son propos, par son sujet que par sa réalisation, son contenu (une sorte de “thriller” médical mou de la vulve, avec un suspense mal géré, des musiques à côté de la plaque, une platitude visuelle …).


La fille de Brest raconte en quelque sorte l'histoire du Mediator, où plutôt, l'histoire de la dénonciation du Mediator, ce médicament prescrit pour le diabète ou encore pour perdre du poids et produit, commercialisé par l'entreprise pharmaceutique Servier. Cette révélation, non de l'inefficacité du médicament, d'un éventuel effet placebo, mais de la nocivité du médicament. Pour rappel, est avancé le chiffre de plus de 1 000 décès dus à l'ingérence dudit médicament.


La figure emblématique, iconique, du cas Mediator est bien entendu Irène Frachon, Personnage principal de la fille de Brest incarné par l'actrice danois, égérie de la série Borgen, Sidse Babette Knudsen. Pendant qu'on en est là, je n'ai pas trop compris (en fait je n'y ai même pas réfléchis pour être franc) l'emploi de cette actrice et son jeu non doublé. Quel intérêt de mettre une actrice avec un accent danois et s'exprimant danois ? (D'ailleurs si certains passages où l'actrice peste dans sa langue natale ont vocation à être humoristique c'est plutôt raté, comme tous ces instants censés l'être dans le film …)


En évoquant Irène Frachon, un point intéressant du film est de montrer, qu'au delà l’essentialisation de l'affaire du Mediator à travers Irène Frachon, c'est toute une typologie d'acteurs et leur mise en mouvement par l'action d Irène Frachon : une équipe de chercheurs pour trouver les données, les exploiter, les mettre en forme “scientifiquement”, une sorte d'analyste-comptable simili Snowden, une membre de la haute administration scientifique etc. Car oui, contrairement à ce qu’on peut penser, personnellement à part Frachon je ne connaissais personne d’autre et encore moins le rôle de chacun dans cette aventure, Irène est loin d’être seule, et finalement, n’a été, essentielle pour autant, que l’élément impulseur et relanceur. Ce n’est pas elle qui a fourni, traité, présenté les données. Au-delà de cette mise en lumière d’une oeuvre collective et des rançons de la gloire dirigés uniquement vers la tête de l’iceberg (Frachon), le film montre bien toutes les difficultés, les tiraillements qu’entraînent une entreprise de cette ampleur. Cela s’incarne je trouve très bien par le rôle qu’occupe Benoît Magimel, de ce médecin-chercheur qui sait qu’il s’engage finalement dans une voie à l’issue bouchée pour sa carrière. Défier l'industrie pharmaceutique et l’institution publique ne se fait pas sans heurts. Et c’est là toute l’antinomie de la recherche de l’intérêt particulier face à l’intérêt général. Le choix cornélien de sauvegarder sa carrière professionnelle au détriment d’une conscience sans doute marquée à jamais et de l’autre sacrifier son avenir professionnel contre une action bénéfique pour l’intérêt collectif (in fine il est obligé de partir au Canada). Finalement, c’est entre Charybde et Scylla qu’il faut choisir. Ce simple exemple révèle bien la difficulté qu’un lancement d’alerte provienne de l’intérieur même du système, car, en quelque sorte, dénoncer celui dont peut dépendre son avenir, comme dirait notre ancien président, c’est pas facile.
Pour terminer avec le cas du scientifique incarné par Benoît Magimel, sorte d’agelaste adepte de la palinodie, la réalisatrice a eu le bonne idée d’évoquer le cas des publications scientifiques. Ainsi, pour qu’une étude devienne scientifique, il faut qu’elle passe par une publication dans une revue universitaire, et si possible une réputée (est-ce le cas dans le film ?). En clair, tout le travail de l’équipe Mediator ne vaut rien s’il n’a pas été “validé” par des tiers, ce qui évidemment n’est pas gagné d’avance quand on compte créer un séisme professionnel et médiatique (mais on le voit, la tâche n’est pas impossible car leur étude a pu être publiée). Tiens, cette affaire me rappelle notre ami économiste Jean Tirol, parangon de l’évaluation par les tiers comme caution qualitatif d’une étude scientifique. Mais, les meilleurs revues, n’incarnent-elles pas une forme de Vérité dominante scientifique ? Comment, par une étude radicale pouvoir être reconnu comme scientifiquement acceptable si on ne rejoins pas en grande partie les axiomes, les dogmes admis et vantés par les hautes sphères de la hiérarchie académique ? M’enfin, ce n’est pas ici le lieu d’en débattre et ce qu’il se passe dans le domaine des sciences “dures” est peut-être différent de ce qui a lieu en sciences sociales et plus précisément en économie politique.


En évoquant plus haut cette mise au garage du praticien chercheur qui a été une des chevilles ouvrières de cette affaire du Mediator, l'aspect du film qui a sans doute le plus retenu mon attention, bien que ne m’ayant rien appris, est le portrait du secteur de la santé, du point de vue de sa structure, de la bureaucratie sanitaire, loin à mon avis de l’efficacité et légitimité wébérienne. Cela se matérialise par la confrontation entre l’équipe “lanceuse d’alerte” et l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), ou plutôt certains membres de cette dernière. On le voit bien dans le film, l’Afssaps accueille avec un certain scepticisme et une forme de mépris à peine caché les propos à l’encontre du Mediator. Néanmoins, il est dommage que la réalisatrice n’ait pas pris plus de temps pour revenir sur les raisons, les déterminismes de ce comportement, au-delà d’une simple exposition superficielle. Evidemment, au-delà d’un simple sentiment de supériorité hiérarchique, et donc de “légitimité”, de capital symbolique-concret, on se doute qu’il n’est pas aisé pour les membres d’une telle institution, censée être garante de la sécurité des malades, de se remettre en question, de faire preuve de réflexivité, après la décision de mettre sur le marché un médicament responsable d’un nombre non négligeable de décès. Surtout en pensant que si ce médicament nocif est passé entre les mailles du filet, combien d’autres l’ont aussi été ? Cacher la poussière sous le tapis, éviter l'opprobre, la mise au pilori sur place publique et se dire qu’on fera plus attention prochainement est peut être une chose que l’on se dit dans ce genre de situation. Et d’ailleurs, en adoptant un point de vue plus macro, je subodore qu’on puisse établir une certaine forme de parallélisme avec d’autres instances de “sécurité” ou “régulation” dans d’autres domaines comme par exemple avec le cas de l’Autorité des marchés financiers.


En parlant d’avanie, les individus désignés comme les grands méchants de l’histoire sont bien les représentants, les séides de l’industrie pharmaceutique (caractérisés avec fort peu de finesses, mais c’est une caractérisation banale dans ce film) appâtés par le profit et les dividendes et aussi leur beau chèque qui tombe à la fin du mois. Au-delà d’une dualité confondante de simplicité, d’une confrontation millénaire entre les forces du bien et celles du mal, voire même du David contre Goliath (disproportion de moyens humaines, financiers, de capital symbolique) le film je trouve manque de révéler les liens existants entre la bureaucratie sanitaire et l’industrie pharmaceutique, plus précisément des conflits d’intérêts qui pullulent dans ce secteur d’activité (bien cachés d’ailleurs par une bonne couche d'opacité comme on les aiment). Il aurait d’ailleurs été intéressant d’avoir l’information quant à la réunion durant laquelle a été autorisé la commercialisation du Mediator. Combien d'individus en lien avec l’entreprise Servier ? Néanmoins, le film a au moins le mérite de mettre en lumière les liens entre l’industrie pharmaceutique et le domaine universitaire de la recherche, notamment à travers cet auguste professeur parisien qui du haut de sa stature symbolique vient trancher en 9 secondes le débat sur la nocivité ou non du Mediator (quels sont ses liens avec Servier ?).
Bien entendu, par la suite de l’affaire du Mediator, l’Afssaps a été, comment dire, superficiellement réformée, et quoi de mieux qu’une nouvelle dénomination ? Comme l’UMP on se rachète une virginité ! Finalement, ça me rappelle un peu ce que disait Michel Foucault à propos du discours réformateur à propos des prisons, sa critique (non systématique, non remise en cause existentiellement) fait partie d’un mouvement plus ample de légitimation, et est finalement consubstantielle, endogène à sa propre existence.


Petite mise en perspective avec l’actualité, dans le dernier numéro du Canard Enchaîné un article est publié concernant le cas de la Dépakine (médicament commercialisé par l’entreprise Sanofi), censé combattre l'épilepsie ayant de graves effets secondaires chez les femmes enceintes (possibilités non négligeables de malformation des nouveaux nés ou de troubles du comportement). En 2006, la commission d’autorisation de mise sur le marché de l’agence du médicament procède à une superficielle réforme des conditions de prescriptions. Et, qu’est ce que nous apprends le Canard, qu’un certain nombre de membres de ladite commission ont des liens forts juteux avec l’entreprise Sanofi …
(En évoquant le Canard enchaîné on aurait aussi pu revenir sur le rôle et l’utilisation des médias dans ce genre d’affaire).


En une phrase : Un film qui pose des questions de fonds, mais qui reste trop bancal sur la forme (oui, de qualité purement cinématographique, ce dont je n’ai pas parlé dans ma note!).

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le 29 nov. 2016

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