L’avantage du cinéma de guerre anglo-américain est qu’il peut se montrer très varié grâce à tous les fronts existants. Evidemment, si une bonne partie est dédiée au front Ouest de 39-45, d’autres films, dont La Flamme pourpre, s’aventurent dans des milieux plus exotiques comme la Birmanie. Le plus connu demeure évidemment Le Pont de la rivière Kwaï de David Lean sorti trois ans plus tard. Néanmoins, la production étant alors abondante, il faut tout de même trouver les moyens de se détacher de la concurrence.

Robert Parrish, réalisateur marginal d’Hollywood classique, met ici en scène le trauma d’un pilote de bombardier. Il n’est sans doute pas anodin que le film sorte un an après la fin de la guerre de Corée. La blessure psychologique du héros, incarné par Gregory Peck, est complètement au centre du récit. Il est intéressant de constater que le film utilise plusieurs procédés différents pour mettre en scène la folie du personnage qui sont assez rares dans ce genre de cinéma. Le film s’ouvre sur une séquence cauchemardesque assez hallucinante. Dynamique, la mise en scène nous plonge immédiatement dans l’univers névrosé du personnage. Avec une certaine ingéniosité dans le montage mais aussi dans la construction sonore, Parrish fait exister avec réalisme les hallucinations du héros.

Le personnage de Peck, hanté par le souvenir de la disparition de sa femme que l’on découvre dans un flashback ahurissant de modernité et de violence dans son montage, est un homme véritablement cassé. Il ère dans ce pays du bout du monde à la recherche de nouvelles raisons de vivre (ou de mourir, il a des quelques relents suicidaires). C’est l’occasion pour Parrish de filmer, avec une certaine virtuose, le magnifique décor qu’offre la Birmanie. Il ne filme pas seulement ses beaux paysages mais aussi son peuple, sans jugement, sans supériorité, avec une certaine sincérité dont toutes les productions d’alors ne peuvent pas forcément se vanter. La photographie du film est par ailleurs détonante, et ses couleurs parviennent à faire vivre tantôt la beauté du décor naturel qu’offre la Birmanie, tantôt la violence psychologique de ce qui est proposé à l’image. Forcément, c’est par une histoire d’amour que Gregory Peck tend à remonter la pente, dans la plus pure (mais pas désagréable) tradition Hollywoodienne. A cela près qu’il s’agisse d’une romance avec une véritable asiatique, chose alors peu courante dans le cinéma américain, d’autant plus qu’elle est ici assumée jusqu’au bout.

Néanmoins, alors que le personnage de Peck essaye de se reconstruire un univers, ses troubles mentaux l’entrainent à faire crasher son appareil au milieu de la forêt birmane. Le film de guerre psychologique se mute alors en survival. C’est peut-être là qu’il apparait plus faible. Les malheureux compagnons de Peck égarés au milieu de la forêt ne s’avèrent pas forcément intéressants, et finissent par être simplement des outils scénaristiques. Cela dit, on jouit toujours d’un Gregory Peck au sommet, qui ne manque jamais d’être juste quand il faut interpréter un homme torturé, à bouts.

La Flamme pourpre apparait ainsi légèrement hétérogène. Plusieurs séquences brillent par leur mise en scène ou leur écriture, notamment une séquence d’aviation aux maquettes saisissantes, mais une baisse de rythme dans le second tiers paralyse toute la puissance du film qui avait été accumulée dès le début. Le film s’oriente ainsi vers un dénouement attendu mais qui demeure tout de même assez juste et cohérent. Il y a même une ultime touche de modernité et d’anticonformisme dans le dernier plan.

Entaché par certains défauts, probablement à cause de sa quête de modernité et son désir de vouloir proposer quelque chose de neuf dans le film de guerre, La Flamme pourpre ne manque tout de même pas d’intérêt. Il constitue, dans ce registre de cinéma au sein des années 50, une parenthèse exotique très appréciable et dépaysante au possible qui préfigure sensiblement le film culte de David Lean, tournée au même endroit.

A noter, tout comme Enfants de Salauds, que le film est ressorti en DVD/Blu-ray le 15 octobre dernier chez Sidonis, bénéficiant d’une très bonne restauration, accompagné également d’introductions de Patrick Brion et Bertrand Tavernier, au savoir toujours encyclopédique.

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le 11 nov. 2013

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Lt Schaffer

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