[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]
Plaisanterie pour commencer : est-ce que Guillermo del Toro a pompé The Piano (le personnage principal est une femme muette, dont la dernière scène est au fond de l'eau) en vue d'obtenir des prix ?
(Les nombreuses citations cinématographiques, en revanche, sont une stratégie bien connue.)
The Shape of Water rappelle immédiatement El laberinto del fauno, que j'avais vraiment beaucoup aimé. Celui-ci me séduit moins, mais m'a néanmoins bien plu. Parmi les ressemblances qui m'ont frappé, il y a en particulier le genre (mélange de drame à échelle humaine, de contexte historique fort et de fantastique), la forme (celui de la fable), et même les personnages (le personnage principal est féminin est « faible » (ici muette, là-bas c'est une enfant), a une amie, il y a un gentil docteur et un grand Vilain (ici, vilain mais ridicule)...). J'aime beaucoup cette alchimie de genres dans une forme de fable. Là où la comparaison me fait préférer El laberinto del fauno, c'est sur la gestion de l'élément fantastique : je trouvais plus de charme à la magie qui potentiellement n'est que le produit de l'imagination d'une petite fille qu'au fantastique scientifique dans The Shape of Water.
Ce que j'aime bien chez del Toro, du moins dans les films comme The Shape of Water (et qui ne me facilite pas la tâche de rédiger cette critique !), c'est leur grande complexité. Il y a beaucoup d'éléments, de détails, beaucoup d'informations. Certains créent des réseaux de sens (ici, par exemple, tout ce qui indique les origines aquatiques d'Elisa (Sally Hawkins) : sa cicatrice, son mutisme comme celui de la petite sirène, ses rêves d'eau, le fait qu'elle a été trouvée près d'une rivière, etc.), d'autres sont totalement gratuits, de purs choix esthétiques. En résultent des films dont j'ai l'impression qu'ils m'échappent un peu, et comme ce qui ne m'échappe pas me plaît, le plaisir en est augmenté.
The Shape of Water raconte (entre autres choses mais c'est je crois le nœud central de l'intrigue) une histoire d'amour pour le moins inhabituelle, entre Elisa, humaine (mais peut-être pas tant que ça finalement) et l'amphibien (Doug Jones, l'acteur qui incarne toutes les créatures de del Toro). Les histoires d'amour me touchent très rarement au cinéma - tout simplement parce que la durée d'un film est un format souvent trop court pour raconter une relation assez nourrie pour entraîner mon identification. Dans ce film aussi, la relation se construit trop vite pour moi, reposant principalement, dans un sens, sur le fait qu'Elisa est la seule à traiter la créature d'égale à égal et non en posant sur elle un regard scientifique dissecteur, dans l'autre parce qu'elle-même se sent enfin comprise par l'amphibien, muet comme elle. Il y a tout de même quelque chose qui m'émeut dans cette union improbable, malgré et contre le monde. The Shape of Water parle d'ailleurs beaucoup des rapports de force, et bien plus entre les personnages humains que par rapport à la créature : le fond de guerre froide, l'Américain blanc modèle qui se croit tout permis, les scientifiques et les bonniches, le général qui montre ses galons, le gay solitaire, les Noirs rejetés d'un café...