Guillermo Del Toro aime les monstres. Qu'il soit guide spirituel d'une enfance brisée dans "Le Labyrinthe de Pan", sauveur de l'humanité dans "Hellboy" ou esprits pas si démoniaques que ça dans "Crimson Peak", les créatures fantastiques ont toujours peuplé le cinéma du réalisateur mexicain, une oeuvre toute entière vouée à inverser la tendance qui voudrait que la différence et la difformité soient des concepts de rejet.
"La Forme de l'eau" pousse le trait encore plus loin puisqu'il s'agit ici d'une histoire d'amour entre deux êtres mis au ban de la société, une jeune femme de ménage muette et une créature fantastique vivant dans l'eau, emprisonnée dans le centre de recherches top-secret où travaille l'héroine. En cela, le dernier film de Del Toro est sans doute son plus personnel.
Dès les premières minutes, on se laisse envoûter par les vertigineuses images d'un cinéaste en état de grâce et par une partition tout simplement somptueuse d'un Alexandre Desplat on ne peut plus inspiré. Mais la vraie valeur du film se trouve dans ses thématiques car oui, "La Forme de l'eau" traite avec une puissance décuplée de ces créatures plus humaines et bienveillantes qu'il n'y paraît mais fait surtout preuve d'une très grande maturité scénaristique de la part du metteur en scène de "Pacific Rim" , le film étant surtout un émouvant portrait de la solitude. Chacun des personnages du film est un marginal qui ne trouve écho à ses sentiments et à ses besoins qu'envers d'autres protagonistes poussés aux limites d'un monde qui ne veut pas d'eux. Le vieux voisin gay de l'héroïne est un célibataire rêveur et sa collègue de ménage au sein du centre de recherche est une femme mariée souffrant de sa couleur de peau et partageant le toit d'un homme quasi-mutique et peu sensible. Chacun de ses personnages va s'ouvrir et se découvrir à travers le reflet des autres bannis d'un monde raciste, machiste et violent que représente à merveille Michael Shannon, monstre humain perdu dans sa propre haine et sa sur-estime de lui-même.
L'autre tour de force du film est de mêler habilement le conte de fées naïf à une matière beaucoup plus adulte, teintée de sexe et de sang à l'image de l'angélique mais séduisante Sally Hawkins.
Tout concourt à faire ici de "La Forme de l'eau" un sommet dans la carrière de Del Toro tellement l'ensemble est hypnotisant, déchirant et d'une beauté apaisante mais surtout, le film constitue une formidable ode à la différence et au lien social comme seul porte de sortie pour l'humanité dans sa tentative de se sauver d'elle-même.