La Fracture
5.6
La Fracture

Film de Brad Anderson (2019)

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Brad Anderson nous avait déjà livré deux thrillers psychologiques énigmatiques marquants : "Session 9" (en 2001) et "The Machinist" (en 2004).


"Fractured" apparait comme une conclusion thématique des enjeux et dispositifs des deux films pour transformer ce diptyque en une trilogie.


"Session 9" était porté par une ambiance horrifique presque bis (un asile psychiatrique désaffecté, des bandes d’enregistrement de patients souffrants de multiple personnalité, le récit des pratiques psychiatriques barbares du passé : lobotomie, bain glacé, etc) et si les personnages évoquaient leur vie de famille, la caméra ne les suivait jamais plus loin que le seuil de leur domicile. On ne comprenait d’ailleurs qu'à la toute fin du film qui était vraiment le personnage principal de l'histoire.


Dans "The Machinist" c’était l'inverse, tout le film était centé sur le personnage de Trevor Reznik (joué par Christian Bale), et toute l'histoire était vu par son prisme. Impossible de savoir ce qui était réel ou non puisque nous étions dans la tête de ce personnage troublé. La fin du film était beaucoup plus intime et touchante que celle de "Session 9".


Dans "Fractured" c'est un peu des deux, nous suivons principalement l'histoire par le biais de Ray Monroe (Sam Worthington), mais l'intrigue est digne d'un film d'horreur bien craspec : Après une chute dans une zone en construction d'une station service, Ray et Joanne emmènent leur fille Peri à l’hôpital, les médecins se veulent rassurants mais il faut quand même faire un scanner ; Ray attend à l’accueil pendant que Joanne accompagne Peri dans les sous-sols de l’hôpital pour le scanner. Après plusieurs heures, Ray demande des nouvelles de sa famille, mais personne ne semble se souvenirs d'eux. Il pense avoir découvert une vaste machination lié au trafic d'organes.


Sans vouloir trop en révéler de l'intrigue, le film est un ascenseur émotionnel et le spectateur passe régulièrement d'une certitude à une autre, Sam Worthington est habité et livre une prestation formidable de père de famille voulant à tout prix sauver les siens, mais dont la santé mental est fragilisé par des traumatismes encore frais dans son esprit. La réalisation est formidable et certaines scènes sont de pure moment de génie en termes de manipulation du spectateur, et le film à l’intelligence de ne pas jouer au petit malin quand il s’agit de révéler certain élément de twist. Toute révélation se fait dans l'émotion et l'intime.


SPOILER ALERTE POUR LA SUITE


J'ai particulièrement adoré le fait que le film ne fasse AUCUN mystère du fait que nous voyons un récit imaginaire depuis le gros plan sur Sam Worthington après la chute jusqu'au moment ou Joanne et Peri prennent l’ascenseur : La réalisation change complètement, les répliques deviennent clichées "you did good", Joanne est régulièrement en retrait, et la plupart des personnages ne semblent ni s'adresser à elle ni l'entendre quand elle parle.
Et puis soudain le film fait des effort monstres pour nous faire croire à la version de Ray, nous préférons croire que l’hôpital est rempli de dangereux conspirateurs, et que notre héro va sauver sa famille. Comme le personnage principal nous préférons oublier ce que nous savons (ou ne voulons pas savoir), pour nous embarquer dans une histoire héroïque rassurante.
La scène avec la psychiatre dans la zone de construction est un moment clef dans ce cheminement et dans notre auto-manipulation : à ce moment du film notre confiance en Ray est chamboulé, tout semble le pointer du doigt, son argumentaire ne tient plus la route. On nous répète plusieurs fois que le chien n'existe pas, que Ray a TOUT inventé. Et puis le chien apparait, et nous voila poussant un soupir de soulagement, "si le chien est vrai c'est que tout est vrai" se dit-on. Du génie.


Quand à la révélation finale elle nous fait brutalement revenir à la réalité, on comprend qu'on s'est fait avoir, pas par le film, mais par nous même. Et comme nous, Ray perd son sourire sur la dernière image du film, lui aussi a compris.

Cordyceps
7
Écrit par

Créée

le 29 févr. 2020

Critique lue 483 fois

Cordyceps

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