La grande bellezza par pierreAfeu
La grande bellezza est une fantaisie amère et colorée sur des thèmes éculés, le temps qui passe, les amours perdues, l'absurdité de vivre, la vanité des hommes. Brocardant grossièrement, mais à juste titre, l'élite italienne de l'ère Berlusconi [donc l'élite occidentale], Paolo Sorrentino flirte avec la nostalgie dans un portrait imaginaire de la Ville éternelle.
Porté par une mise en scène outrancière mais assumée, et par l'interprétation géniale de Toni Servillo en dandy Droopy ["Che cosa sapete? sono felice !], Sorrentino semble vouloir se poser en successeur de Fellini, et du cinéma italien tout court [on pense tout autant à La dolce vita qu'à La terrasse], utilisant de fait quelques ingrédients essentiels : la bouffe, les curés, les bonnes sœurs et les femmes légères...
C'est prétentieux mais ça fonctionne. La grande bellezza se suit avec plaisir même si tout n'est que surface. Jep Gambardella est antipathique mais drôle. Les autres sont pathétiques, mais drôles également. Le film nous réserve d'ailleurs d'excellentes scènes "typiques", burlesques et délicieusement blasphématoires [la performance marxiste, la "leçon" d'enterrement, le futur pape passionné de cuisine, la visite de la "Sainte”].
Ce qui pèche, outre la posture ostentatoire d'un Sorrentino qui ne peut s'appuyer sur un récit solide, c'est l'absence totale d'empathie pour son héros. Si Jep est séduisant et beau parleur, ses émois, pas davantage que ses leçons de vie assénées à tours de bras, ne nous concernent. À trop remuer les poncifs, Sorrentino se perd.
D'où vient alors qu'on réussisse à ne pas vraiment s'ennuyer, qu'on s'émerveille devant une Rome aussi réelle que fantasmée [sans voitures !], qu'on sorte de La grande bellezza un sourire niais aux lèvres ? Le charme italien probablement, la beauté de la langue, la douceur des couleurs, la nonchalance d'une culture pour qui rien n'est jamais vraiment grave. On préfèrera évidemment le délicieux Habemus papam ou le merveilleux Journal intime d'un Nanni Moretti moins dans l'esbrouffe et beaucoup plus sensible. Mais Sorrentino, capable ici du meilleur [les séquences de fêtes, les balades] comme du moins bon [la banalité du propos], nous fait partager un peu de son Italie, de l'Italie tout court, toujours excessive, toujours mélancolique, toujours séduisante.